Quel but poursuit la Fédération de foot ?

La Fédération française de football refuse des licences à des enfants étrangers ou d’origine étrangère sous prétexte de lutte contre les trafics de joueurs, créant ainsi son propre droit.

Ingrid Merckx  • 25 mars 2010 abonné·es
Quel but poursuit la Fédération de foot ?
© PHOTO : ROBINE/AFP

Pas de papiers, pas de ballon ? Depuis octobre 2009, toute nouvelle licence de la Fédération française de football (FFF) est refusée aux mineurs qui ne fournissent pas d’attestation de cinq ans de présence sur le territoire. En Île-de-France, plus de 800 enfants se sont ainsi vus interdits de club FFF cette saison. Et des milliers pourraient être concernés par une nouvelle exigence qui impose, pour toute première inscription, de produire les documents suivants : attestation de séjour, justificatif d’identité, quittance de loyer, permis de travail, carte de séjour des parents, contrat de travail d’un des parents… « On croirait un dossier de demande de régularisation en préfecture » , s’insurge la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui organisait, le 18 mars à Paris, une conférence sur le thème : « Pas de licence de foot pour des enfants qu’on dit “étrangers” ? »
Un enfant sans-papiers, ça n’existe pas en France, où il faut avoir 18 ans pour se voir réclamer un titre de séjour. Aucun service n’est en mesure de fournir une attestation de cinq ans de présence sur le territoire. Et, surtout, la FFF n’a pas à réclamer ce genre de document. Négligence ? Méconnaissance du droit des étrangers ? Zèle en plein débat sur l’identité nationale ? Ou stratégie du foot business ?

« Le renseignement d’une simple case sur la demande officielle de licence
– français ou étranger – déclenche une curieuse chaîne d’illégalités qui prouverait que la FFF cherche à créer son propre droit spécifique au mépris de la loi »
et « se comporte en supplétive de la politique d’immigration » , alerte la LDH, qui dénonce « une discrimination caractérisée envers des enfants étrangers ou d’origines étrangères ». La FFF se défend en invoquant la lutte contre le trafic de jeunes joueurs. « Mais les enfants concernés sont nés en France ou y vivent, et y sont scolarisés. Les situations ne relèvent nullement de la question du transfert des joueurs ! » , rétorque la LDH, qui menace, en cas de non-annulation de cette mesure, de saisir la Halde et la Défenseure des enfants, et d’entamer une procédure devant le Tribunal administratif.

C’est un président de club qui a alerté la LDH. Début 2010, Robert Weinberger, de l’Espérance sportive parisienne, se voit retourner une vingtaine de licences par la fédération. « J’ai une joueuse de 12 ans qui ne peut pas disputer de matchs le dimanche parce qu’on lui demande des documents qu’elle ne peut fournir ! », s’insurge-t-il. Quand on s’inscrit à la FFF, on obtient une licence avec un numéro à vie. Des licences refusées, il y en a tous les ans. « Mais, pour une histoire de papiers, c’est la première fois ! On vérifie l’état civil, pour avoir le nom et l’âge, afin d’inscrire l’enfant dans la bonne catégorie. Mais on n’a pas à demander des informations sur la nationalité de nos joueurs ou de leurs parents ! » Combien seront recalés l’année prochaine ? Idem dans tous les clubs affiliés FFF. « On reçoit des appuis de partout en Île-de-France pour dénoncer ce scandale, et même des ligues régionales, se réjouit Robert Weinberger, en montrant un communiqué intitulé « Honte » en provenance du Comité de Paris de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), fondé en 1934 alors que le régime hitlérien, relayé ensuite par la France de Vichy, interdisait les clubs aux non-Aryens.

Le 26 février, la LDH a adressé à la Fédération un courrier relatif « aux obstacles rencontrés par certains parents dans la délivrance de licences pour leurs enfants » . Le 8 mars, la FFF a répondu en évoquant une nouvelle réglementation imposée par la Fédération internationale de football (Fifa), en mai 2009, à ses 208 fédérations, « dans le but louable de ­lutter contre le “trafic” de jeunes joueurs ». « Au 1er octobre, la Fifa avait décidé que tous les dossiers des joueurs mineurs devaient faire l’objet d’une validation par la sous-commission du statut du joueur avant enregistrement dans une fédération » , explique Jean Lapeyre, directeur général adjoint de la FFF. Le 30 décembre 2009, la fédération française a obtenu une dérogation pour pouvoir traiter directement les cas concernés : « Les mutations internationales et les demandes de premières licences de mineurs étrangers concerneraient environ 15 000 joueurs rien qu’en France » , a-t-elle plaidé. D’où son « nouveau règlement ». La Fifa y voit une interprétation abusive de sa circulaire. Le ministère des Sports, tutelle de la FFF, garde le silence.

« La LDH demande à la FFF, à la ligue régionale d’Île-de-France, et éventuellement aux autres structures de ne plus se comporter de fait en auxiliaires du racisme et de la xénophobie, annonce la LDH. La FFF connaît-elle le dommage qu’elle cause chez ces jeunes qui ne demandent qu’à pratiquer et à apprendre ? » Certains à la FFF cherchent-ils à se faire bien voir de l’Élysée ? Le président de la LDH, Jean-Pierre Dubois, n’hésite pas à évoquer « une forme de lepénisation des esprits » qui contaminerait les organisations au-delà des individus. « Quelle hypocrisie, en pleine campagne sur l’intégration, de rejeter ceux qui s’intègrent via le foot ! » Cette affaire relance le débat sur le racisme dans le sport. « Il apparaît ainsi qu’au motif de lutter contre la traite des êtres humains, des directives sont données ayant pour conséquence de pénaliser des enfants dont le seul tort est d’avoir un patronyme à consonance étrangère ou d’être nés à l’étranger » , résume la LDH. « Gare aux amalgames entre les enfants engagés dans une pratique de loisir et les jeunes joueurs exploités » , prévient la FSGT. Reste que les clubs professionnels ne sont pas les seuls impliqués car, dernière astuce pour éviter des recrutements trop directs en Afrique, ils viennent puiser dans le vivier des clubs amateurs. Concernant les discriminations, la LDH attend que d’autres parents la contactent. Sur le deuxième volet, « l’outil juridique contre la traite des êtres humains n’est jamais utilisé, déplore Isabelle Denis, responsable des affaires juridiques à la LDH. Surtout dans le foot, un monde à part… »

« La FFF n’a pas à se transformer en police des étrangers ! » , s’insurge Jean-Claude Mbvoumin. Président de Foot solidaire, association de protection des footballeurs contre le trafic et l’exploitation, il se félicite des progrès qu’annonce la circulaire de la Fifa, et ne croit pas à une incompétence de la FFF, « qui n’a jamais voulu reconnaître l’existence de trafics de joueurs » . Il y voit plutôt une volonté de mettre à mal la circulaire en démontrant son « inapplicabilité ». « La France perd chaque année ses meilleurs joueurs. Où trouver de bons joueurs pas chers, sinon en Afrique ? Or, ces nouvelles règles de la Fifa pourraient faire baisser les flux d’au moins 5 %. Mais personne n’ose mettre son nez dans ce business ! » , souligne cet ancien footballeur, qui fustige l’attitude « néocolonialiste » des instances du foot français. « Voyez-vous d’anciens joueurs noirs parmi les entraîneurs nationaux ? Et sait-on ce qui arrive aux jeunes joueurs africains qui échouent aux tests des clubs professionnels ou qui se retrouvent sans titre de séjour à l’issue d’un contrat de plusieurs années en France ? » Le foot fabrique ses sans-papiers d’une main tandis qu’il les écarte de l’autre.

Société
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