Régionales : le scrutin de tous les records

Les résultats du premier tour traduisent un net rejet de la politique du gouvernement. L’abstention massive témoigne de la perte de confiance des électeurs en leurs représentants. À gauche, les bons scores obtenus ne doivent pas masquer la volatilité de l’électorat.

Michel Soudais  • 18 mars 2010 abonné·es
Régionales : le scrutin de tous les records
© PHOTO: AFP/GUAY

Le premier tour des régionales pourrait rester dans les mémoires comme le scrutin de tous les records. Record d’abstention, symptôme d’une profonde crise de confiance politique. Record d’impopularité pour le gouvernement, puisque plus des deux tiers des électeurs qui se sont déplacés l’ont fait pour mettre dans l’urne un bulletin contre lui. Record de volatilité des votes d’un électorat de plus en plus zappeur. Record, enfin, pour la gauche, qui, toutes listes confondues, totalise 53,6 %. Mais si le scrutin de dimanche dernier traduit un net rejet de la politique de Nicolas Sarkozy, l’analyse des résultats de ce vote ne traduit pas une franche adhésion à un projet alternatif.
Première donnée incontestable du scrutin, l’abstention (53,64 %) n’avait jamais atteint un tel niveau dans une élection locale. Le précédent record remonte aux régionales de 1998 (un seul tour) avec 42,3 % d’abstention. Au premier tour de 2004, elle était retombée à 39,16 %. Maigre ­consolation, les électeurs ont un peu plus voté qu’aux élections européennes de juin dernier, quand 59,37 % d’entre eux avaient boudé les urnes.

Si l’on note un surcroît d’abstention dans des départements et des régions qui avaient fortement voté en faveur de Nicolas Sarkozy en 2007, c’est cependant dans les villes populaires de banlieue qu’elle est la plus forte. Dans plusieurs communes franciliennes, moins d’un électeur sur trois s’est rendu aux urnes, traduisant à nouveau un sentiment d’ « abandon » et d’éloignement de la politique : 71,4 % à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), 71,9 % à ­Sarcelles (Val-d’Oise), 69,1 % à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Certes, les régionales comme les européennes mobilisent moins les électeurs que d’autres élections et, par le passé, la participation a pu être « gonflée » par la convocation le même jour d’élections législatives ou cantonales. Mais, quand les électeurs se détournent des urnes de manière aussi massive, l’abstention est moins le signe d’un désintérêt pour ce type de scrutin ou pour la politique qu’un signe de désenchantement des électeurs face à l’inaction des politiques et à leurs mensonges.

C’est ce qui ressort d’un sondage CSA réalisé dimanche pour le Parisien, qui a interrogé les abstentionnistes sur les raisons pour lesquelles ils n’ont pas voté. Deux causes arrivent en tête de leurs motivations, qui peuvent être multiples : pour 29 %, l’élection régionale « ne changera pas grand-chose à [leur] vie quotidienne » , et ils sont aussi nombreux à estimer que le refus de vote « est une manière d’exprimer leur mécontentement sur la manière dont vont les choses en France ». L’abstention est ainsi moins le symptôme d’une indifférence qu’un message de défiance. Ce que les dirigeants de l’UMP nient farouchement. Dès 20 heures, dimanche, ils se sont abrités derrière le faible taux de participation pour récuser toute signification nationale au scrutin et contester l’expression d’un vote sanction.

Tout aussi incontestable est la claque enregistrée dimanche par Nicolas Sarkozy et l’UMP. Quoi qu’en disent leurs porte-parole. Avec 26,3 % des suffrages exprimés (moyenne nationale), les listes UMP arrivent derrière les listes du PS (29,5 %). Ce score traduit un taux d’adhésion à la majorité présidentielle encore plus faible qu’aux élections européennes, où le parti du chef de l’État avait enregistré un mauvais score (27,9 %), loin des 31,2 % obtenus par Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle.
L’UMP avait engagé dix-neuf ministres dans la bataille électorale. Huit étaient têtes de liste et sont candidats à la présidence de région. Au regard des résultats du premier tour des régionales, aucun ne semble en mesure de l’emporter. Quatre d’entre eux sont arrivés derrière le PS dimanche. C’est le cas de Xavier Darcos en Aquitaine, qui obtient 22,05 % contre 37,63 % au président sortant, Alain Rousset ; de Valérie Létard (19 %) dans le Nord-Pas-de-Calais, qui est dix points derrière Daniel Percheron (PS) et talonnée par Marine Le Pen (18,31 %) ; de Bruno Le Maire (25 %) en Haute-Normandie, ou Dominique Bussereau, qui malgré 29,46 % accuse neuf points de retard sur Ségolène Royal (38,98 %) en Poitou-Charentes. Les quatre autres, arrivés en tête dimanche – Valérie Pécresse en Île-de-France, Alain Joyandet en Franche-Comté, Hervé Novelli dans le Centre, Alain Marleix en Auvergne –, ne disposent pas de réserves de voix suffisantes pour espérer l’emporter au second tour. Le reflux de la droite est sensible partout. Même dans la ville du secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, le PS arrive en tête. Cela ne s’était pas vu depuis bien longtemps à Saint-Quentin (Aisne).

Si l’on s’en tient à des scrutins comparables, au premier tour des régionales de 2004, qui se sont soldées par la victoire de la gauche que l’on sait, l’UMP rassemblait 6,4 millions de voix sur ses listes. Dimanche, à peine 5 millions d’électeurs ont voté pour ses listes. Après deux ans et demi de présidence de Nicolas Sarkozy, la droite est encore plus affaiblie qu’elle ne l’était après neuf ans de règne de Jacques Chirac à l’Élysée. D’où un mécontentement perceptible parmi les élus qui ne font pas partie du gouvernement et du premier cercle élyséen. Mécontentement qui pourrait bien s’amplifier en cas de confirmation de l’échec le 21 mars.
Autre signal d’alarme pour le chef de l’État, le Front national, que Nicolas Sarkozy se vantait d’avoir réduit, refait surface. Avec 11,6 %, il est en mesure de se maintenir au second tour dans 12 régions sur 22, réduisant à chaque fois les (faibles) chances de l’UMP d’emporter une région. Et pourrait lui coûter la présidence de la région Alsace, la seule avec la Corse que détenait la droite depuis 2004. Pour autant, les bons résultats du FN, qui culmine en Paca (20,29 %) et dans le Nord-Pas-de-Calais (18,31 %), où respectivement Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine étaient candidats, traduisent moins une remontée du parti d’extrême droite – il ne retrouve pas son score de 2004, année il avait pu se maintenir au second tour dans 17 régions – qu’un réveil de son électorat. Dont des électeurs frontistes qui s’étaient tournés vers Nicolas Sarkozy en 2007.

C’est néanmoins vers la gauche que se sont majoritairement tournés les électeurs. Avec plus de 53,6 % des suffrages exprimés, celle-ci est à un niveau historique, dont le PS est le premier bénéficiaire. C’est vers ses candidats, dont 20 des 22 présidents de région sortants, que les électeurs de gauche ont majoritairement porté leurs suffrages. L’hypothèse d’un « grand chelem » pour la gauche dimanche soir est tout à fait envisageable. Et sans le MoDem puisque la formation de François Bayrou (4 %) ne figurera que très rarement au second tour.

Rue de Solferino, les résultats ont été accueillis avec soulagement. Après la déroute des européennes (16,5 %), le PS double son nombre de voix et quasiment son score (29,5 %). Mais ce brutal mouvement de balancier électoral dit aussi la fragilité de ce vote. Les électeurs qui se sont portés sur les listes socialistes l’ont fait moins par adhésion à un projet socialiste, dont les présidents de région sortants étaient bien peu porteurs, ou approbation de politiques régionales, qu’ils connaissent peu, que par rejet du gouvernement. Si les socialistes venaient à imaginer le contraire, l’expérience de 2004 est là pour leur rappeler qu’un triomphe aux élections locales n’est nullement la garantie d’une victoire nationale.

La volatilité de l’électorat, qui donne aux scores du PS des allures de yoyo, affecte aussi Europe Écologie. Pour sa deuxième apparition dans un scrutin, le rassemblement des écologistes initié par Daniel Cohn-Bendit s’impose comme la deuxième force politique de gauche avec 12,5 % des suffrages exprimés. Un score en baisse par rapport aux européennes (16,3 %) qui se traduit par la perte de près de 370 000 voix. À cause de ce petit reflux, Europe Écologie ne parvient nulle part à devancer le PS et voit s’envoler son rêve de gouverner une région.

Plus stable est le score du Front de gauche. Dans les 17 régions où le parti communiste avait reconduit l’alliance des européennes avec le Parti de gauche et la Gauche unitaire, y adjoignant souvent d’autres partenaires, il recueille près de 7 %. Cette stabilité apparente en regard des européennes, où le Front de gauche avait obtenu 6,05 % en métropole, est décevante en regard du score à deux chiffres espéré l’automne dernier au plus fort des négociations en vue d’une union de toute l’autre gauche. Il consolide toutefois un rassemblement qui gagne 115 000 voix par rapport aux européennes, signe d’un électorat moins zappeur.

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