Akhenaton : « Il faut garder le sens du combat »

L’artiste Akhenaton retrace ici son parcours et jette un regard critique sur la société actuelle. Ce « citoyen de gauche déçu par la fausse gauche » dénonce la dérive réactionnaire de la vie politique. Il réaffirme la nécessité de s’opposer à la violence des pouvoirs et de lutter contre l’ignorance.

Éric Tandy  • 1 avril 2010 abonné·es
Akhenaton : « Il faut garder  le sens du combat »
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Politis : Pourquoi sortir un triple album et votre autobiographie sous un titre identique ?

Akhenaton I Dans le livre, je n’ai rien raconté qui n’était pas déjà dans mes morceaux. Mais, sur un disque, l’écriture prend un aspect forcément plus métaphorique. C’est pour cela qu’il me fallait sortir un coffret CD en même temps que le livre, pour qu’il en soit le miroir musical.

À vous lire, on vous sent lassé par la politique et par ceux qui en font. Vous écrivez, par exemple : « Le système républicain français est à l’image de ses cours de musique à l’école : de la flûte ou du pipeau, au choix »…

Disons que j’en ai un dégoût, mais un dégoût positif. Ce que je constate avant tout, c’est que l’on vit de plus en plus dans le minable et le mesquin, à l’image de l’affaire Ali Soumaré. On vit dans l’information de village, dans la politique de village, dans la communication de village, rien de plus… Politiquement, on n’a jamais été sur une telle mauvaise pente. Ce qui est d’abord navrant avec les hommes politiques, c’est qu’ils ne surprennent plus personne. Dès qu’ils ouvrent la bouche, je sais exactement, mot pour mot, ce qu’ils vont raconter !

IAM a-t-il déjà été l’objet de tentatives de récupération de la part de politiques ?

Bien sûr, mais nous avons toujours réussi à garder nos distances. Par exemple, Ségolène Royal avait cité du IAM lors d’un discours à Vitrolles, sans notre consentement, évidemment… Mais ce genre de démagogie a toujours existé. En fait, ce qui me choque vraiment aujourd’hui, avec les responsables politiques, c’est qu’ils n’admettent plus aucune critique. Ils ont choisi de faire un métier où ils sont censés parler au nom des gens, mais ils n’acceptent plus les reproches de ceux dont ils disent être les porte-parole. Ils se pensent stars ­intou­chables, comme certains chanteurs. Plus généralement, je suis dégoûté de voir la plupart d’entre eux coller au FN et aller de plus en plus à droite. Et puis entendre Finkielkraut ­déverser toute sa bile, c’est pitoyable ! Lui, un ancien gauchiste ? Un aigri, plutôt. Il a tourné au vinaigre, le bon vin ! Je pense qu’en France des choses ­peuvent s’améliorer. Mais pas si l’on communique uniquement par la peur et les rapports de force.

Avec IAM, vous ne semblez plus trop impliqué dans la vie associative…

À Marseille, c’est surtout artistiquement que l’on fait des choses. Car c’est très difficile de participer à une vie associative en gardant son indépendance. Les associations étant la plupart du temps en cheville avec des partis politiques qui leur donnent de l’argent. Tout cela est très sombre, c’est pour cela que j’évoque l’idée ­d’aller me ressourcer ailleurs, de revenir plus tard pour réapprendre à nouveau à aimer ce pays.

Une chose que vous aviez déjà faite dans le passé…

J’ai vécu à New York au milieu des années 1980. À une époque violente, car le crack y arrivait. Mais, d’un autre côté, il y avait une création artistique extraordinaire. J’ai dû, à ce moment-là, passer par l’étranger pour aimer la France.

Vous racontez comment, dans les années 1980 aussi,
à Marseille, l’arrivée des drogues dures avait été précédée par la disparition des drogues douces…

C’est le principe des robinets que l’on ferme et que l’on ouvre à nouveau. Ça s’est passé comme dans les années 1970 aux États-Unis, on a étouffé la rébellion en diffusant à grande échelle ce qui rend le plus apathique : c’est-à-dire l’héroïne. Personnellement, j’ai vu à Marseille une génération – la mienne – s’éteindre à cause de cette drogue qui a emporté tant de gens.

Selon vous, quels étaient les responsables de cette sordide hécatombe : mafia, pouvoirs ?

C’est un peu tout le monde. En fait, on a beau dénoncer à coups d’articles et de documentaires les collusions entre les hommes politiques et la mafia en Italie, en France aussi c’est très puissant… On ne peut pas avoir d’illusions là-dessus. De même qu’il ne faut pas se leurrer : nous ne sommes pas dans une vraie démocratie, puisque ceux qui ont le pouvoir sont forcément liés aux grands groupes industriels qui exploitent les richesses de la planète.

Croyez-vous que l’énorme succès d’IAM ait dérangé certains garants de l’ordre établi et que l’on ait, d’une façon ou d’une autre, tenté de vous censurer ?

On a essayé de nous museler au niveau de la parole, mais aussi économiquement, quand, dans la presse, sont parus des articles, bien sûr commandités, nous faisant passer pour des gens proches de la mafia. Le but était de ternir notre image, de s’attaquer à l’économie du groupe et à notre structure de production. Il est vrai que lorsque l’on vend un million trois cent mille albums, on a un impact énorme… Mais, aujourd’hui, et j’en suis atterré, il ne reste pas grand-chose de notre présumée influence, puisque l’on vit sous le règne de la télé-­réalité. Les jeunes rappeurs ont grandi avec la télé-réalité, c’est aberrant…

Si IAM arrivait aujourd’hui, pensez-vous que vous auriez le même succès que dans les années 1990 ?

Non. Simplement parce que les grosses radios, comme RTL ou NRJ, qui nous diffusaient, ne passent plus du tout de rap. Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut baisser les bras, céder à la panique et adapter sa musique au n’importe quoi ambiant. Dans ce domaine aussi, il faut garder le sens du combat.

On raconte que le rap est, plus que d’autres musiques, victime du téléchargement illégal…

Ce qui me rend fou, c’est le prétexte : « Je télécharge, parce que les disques, c’est cher. » En fait, un album qui valait grosso modo 120 francs il y a vingt ans coûte aujourd’hui 17 euros. Donc, globalement, ça n’a pas bougé. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui téléchargent gratuitement et n’hésitent pas à acheter des sonneries de téléphone à 4,50 euros ou des paires de baskets à 150 euros ! Tous ceux-là, ça ne les dérange pas de payer ces trucs si cher ? Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils se font moins avoir avec les disques qu’avec le reste ? Et ça ne les dérange pas de payer aujourd’hui un shampoing l’équivalent de 90 francs, alors qu’il y a douze ans ça en valait 17 ? Parce que le vrai grand scandale, c’est quand même le passage à l’euro, qui, à écouter tous les grands partis, ne devait au départ rien changer à nos vies. Ce sont d’ailleurs ceux qui nous racontaient ces sornettes qui continuent de se présenter aux élections. Je ne comprends pas que les Français votent encore pour des gens qui leur ont menti de façon aussi éhontée.

Vous dites voter Verts…

On ne peut sanctionner que par les urnes. La révolution, ça ne peut pas marcher ici. On veut nous faire croire que la France est un pays révolutionnaire, alors que c’est un pays réactionnaire. Quand on me dit « Obama, c’est de la connerie ! » , je suis conscient qu’il ne va pas transformer grand-chose, mais au moins, en l’élisant, les Américains ont changé une image, un symbole. En France, on n’est même pas capable de faire ça ! Nous, quand quelqu’un issu de l’immigration se présente à une élection, la première chose que l’on fait, c’est de voir s’il a un casier judiciaire !

En 1992, vous vous convertissiez à l’islam. Mais cela n’avait pas fait scandale…

Si cela se passait aujourd’hui, la presse dirait que je me suis converti au terrorisme… Car, depuis septembre 2001, il y a une présentation tragique de l’islam. Personnellement, je pratique ma religion sans imposer quoi que ce soit aux autres. Quand ils auront 18 ans, mes enfants feront évidemment ce qu’ils voudront dans ce domaine. Je leur parle juste de philosophes, de savants ou de poètes. Je leur présente de belles choses : Ibn Arabi, Omar Khayyâm, Averroès. Par contre, quand je lis Aristote au mont Saint-Michel (Seuil, 2008, NDLR), du médiéviste Sylvain Gouguenheim, j’explose littéralement ! Car c’est du révisionnisme historique. C’est parce que des gens comme ça, ayant lu Ernest Renan, écrivent de tels bouquins que des hommes politiques, de droite mais aussi parfois socialistes, racontent qu’il faut réaffirmer la chrétienté de l’Europe. Ensuite, ils ­enchaînent forcément sur la délinquance en banlieue. Mais quel est le rapport entre tout ça ? Il n’y en a évidemment aucun. Le révisionnisme historique, ça donne aussi le discours de Dakar et les prétendus bienfaits de la colonisation. L’étape d’après, c’est de forcer à apprendre par cœur les paroles de « la Marseillaise » !
Des paroles d’ailleurs aussi agressives que celles d’un rap que l’on interdirait pour cause d’incitation à la haine…
Exactement. Elles racontent quand même qu’il faut aller étriper l’autre sur le bord du chemin…


La Face B, Akhenaton, en collaboration avec Éric Mandel, Don Quichotte, 462 p., 19 euros.
La Face B (triple CD), EMI, 18 euros.

Publié dans le dossier
Rencontre avec Akhenaton
Temps de lecture : 8 minutes