Courrier des lecteurs 1098

Politis  • 15 avril 2010 abonné·es

À défaut de changer le monde , les politiques s’y adaptent. Ségolène Royal ouvre une nouvelle voie adaptée à la société libérale : elle a déposé à l’Inpi une dizaine de termes comme « ordre juste » ou « fête de la fraternité ». Elle devrait déposer « ânesse poitevine »…

Paul Oriol, Versailles


Je voudrais signaler, à la suite de la lecture de l’article « L’école est obligatoire, non ? », qu’en 2003 douze parents d’élèves d’Évry ont porté plainte contre le ministère de l’Éducation nationale. La FCPE a trouvé un avocat qui a géré chaque dossier individuellement. Le tribunal administratif nous a donné raison, chaque parent a été dédommagé d’une somme de 45 euros, plus pour ceux qui présentaient une facture de frais de cours particuliers ou par correspondance. Onze classes du collège Le Village manquaient de professeur de français, d’autres absences étaient également non remplacées (en maths et en EPS).

Nicole Coutant


Jean Ferrat J’étais, avec quelques compagnons de lutte et trois militantes de la résistance iranienne aux obsèques de Jean Ferrat au pied de la montagne ardéchoise. […] La cérémonie, conforme aux volontés de notre ami, fut sobre. Témoignage de Pierre Tenenbaum, frère aîné du chanteur, le seul témoignage familial sur celui qu’il appela, la voix pleine d’émotion, son « petit frère » . Pour le reste, des textes de Ferrat, rien que les textes et la force des mots, ces « Que serais-je sans toi ? » sanglotés par deux petites filles, Julie et Paula, ceux de « Ma France » chantés a cappella par Francesca Solleville et encore ceux de cet éclatant « Que c’est beau, la vie ! » clamés dans la douleur par Isabelle Aubret, l’amie de toujours. […]
Cette simplicité contrebalance le déferlement médiatique […], concert d’éloges qui a occulté le plus souvent l’engagement citoyen de Jean Ferrat. […]

À Valence, il avait accepté de parrainer Kristina Kobzeva et avait écrit au préfet de la Drôme son indignation face à la décision d’expulser cette jeune Tchétchène.

En Ardèche, il présidait le comité de soutien au magistrat iranien Madjid Chabasian, réfugié statutaire depuis plus de vingt ans et assigné à résidence à Privas, après la honteuse rafle du 17 juin 2003, diligentée contre la résistance iranienne par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, pour servir des intérêts marchands. Nous fûmes quelques-uns en France, parmi les militants associatifs et politiques, à dénoncer le scandale de cette rafle. Nous nous rencontrions aux réunions du comité de soutien convoquées régulièrement à la Fédération des œuvres laïques de Privas, qui sut outrepasser sa stricte vocation culturelle. Je l’avais contacté il y a quelques mois, pour qu’il nous aide à réunir un collectif d’artistes prêts à s’engager pour la restitution des œuvres du poète iranien Vali Emamgholi, confisquées par la DST lors de cette fameuse rafle […] Le pays des Droits humains a osé lui confisquer l’intégralité de son œuvre poétique !

Voilà ce que n’a pas dit la presse people, la grande presse des « multinationales culturelles » qui nous abreuve chaque jour de prêt-à-penser et dont Jean Ferrat dénonçait également sans cesse la veulerie et la médiocrité. […]

Odile Schwertz-Favrat, Valence


L’article sur la santé mentale , avec l’entretien de Jean-René Buisson, m’amène à réagir. Certes, la pédopsychiatrie peut être déclarée sinistrée, tant les pédopsychiatres font défaut en libéral comme à l’hôpital ou dans les institutions. Certes, partout on manque de moyens, et les listes d’attente s’allongent. Oui, le rôle de l’école maternelle est important et permet de percevoir précocement des problèmes psychopathologiques et neurologiques.
Oui, mais…

Je suis psychologue en CMPP, où nous sommes confrontés à une demande de plus en plus pressante tant de la part des familles que des enseignants, à laquelle nous avons bien du mal à répondre. Et ce pour plusieurs raisons.
Le dépistage précoce instauré par les campagnes de prévention des « troubles des apprentissages » a des effets pervers. Ainsi de l’agitation d’un enfant, sa difficulté à respecter les rythmes et les contraintes d’une école soumise à l’évaluation (des enseignants et des élèves). Or, le zapping généralisé et le stress parental induisent une accélération du temps social et une angoisse du « retard », et sont conduits à la consultation des enfants qui ne présentent rien d’autre qu’un comportement réactionnel à ce qu’ils vivent, quand ce n’est pas un simple écart par rapport à la moyenne des comportements types. Mais on pense aussitôt « hyperactivité » pour ce qui était de la turbulence,
et il faut un diagnostic.
Ainsi, l’enfant qui peine à acquérir l’orthographe est aussitôt soupçonné d’être atteint de dyslexie. Combien de bilans orthophoniques viennent ensuite écarter l’hypothèse…
Alors, oui, la présence dans les écoles d’une équipe médicale formée éviterait cet encombrement.

Et c’est là aussi que je réagis, lorsqu’il est dit qu’il « faut aller chercher le diagnostic » . Quel diagnostic et pour quoi faire ensuite ? Les centres de ressources pour l’autisme et les troubles des apprentissages ont fleuri. Et que voit-on ? Là encore, des délais d’attente intenables. Dans la masse, les enfants qui pourraient vraiment bénéficier d’aides spécifiques perdent du temps.

Diagnostic obtenu ou pas, la plupart des enfants sont orientés ensuite vers nos structures, qui tentent de travailler avec des familles que le « diagnostic » rassure, et qui parfois s’y réfugient pour ne pas aborder le reste : la souffrance de l’enfant en difficulté, les conflits familiaux ou avec les pairs, bref, pour ne pas entendre ce que l’enfant a à dire.
On commence par chercher un diagnostic (dyscalculie, dyslexie, dysorthographie, dysoralie, dyspraxie, etc.) et on demande un remède. Les parents ne sont pas en cause, ils sont pris dans cette nouvelle folie du « dys » qui phagocyte le sujet pensant et désirant qu’est leur enfant.
Le « trouble » a remplacé le symptôme porteur de sens […].

Je réagis alors à cette phrase : « La famille est maître d’œuvre. » Incontestablement, c’est au parent que revient la décision d’accepter un suivi, mais le maître d’œuvre est, selon la définition, celui qui apporte les moyens techniques. S’agirait-il de faire des familles les décideurs des rééducations et thérapies, chargeant ensuite des « techniciens » de les réaliser ? Doit-on penser qu’une fois le « diagnostic » obtenu, les familles se verraient confier la décision des prises en charge les mieux adaptées ? Il arrive que cela soit déjà le cas. Faudrait-il s’étonner alors de la désaffection des professionnels, dont ne serait plus reconnue qu’une compétence technique ? Nous risquons d’en arriver là, non du fait des familles, mais par la mise en place d’une politique de rentabilité qui privilégie les thérapies courtes et les pratiques standardisées (dans leur forme et leur durée). Bien sûr au nom de la réduction de ces listes d’attente dont pâtissent assurément les enfants en difficulté, mais dont on se garde bien de dire qu’elles sont aussi l’effet d’une demande qui explose comme d’un manque récurrent de moyens en personnel (combien de création de postes ?).

[…] Je comprends qu’un parent
– car c’est ainsi que se présente M. Buisson – veuille tout faire pour que son enfant bénéficie des meilleurs soins, mais il ne faut pas oublier qu’un enfant, quel que soit son symptôme ou sa maladie, est aussi un sujet en relation avec son milieu et des parents eux-mêmes aux prises avec leurs difficultés. Le travail des équipes des CMP, centres hospitaliers et CMPP prend cela en compte et permet aussi qu’un problème identifié s’intègre dans un vécu global, et ne soit pas instrumentalisé, instituant le symptôme en statut. On sait tout de même que pour envisager une amélioration et, mieux, une guérison, il faut éviter d’installer le malade dans sa maladie.

Patricia Viollette, membre du Comité
de vigilance des CMPP de l’Ouest

Courrier des lecteurs
Temps de lecture : 7 minutes