Images de la vie sans rien

La galerie Fait et Cause, à Paris, expose le travail de Diane Grimonet consacré à la précarité.
Des photos prises entre 1998 et 2010, qui disent l’échec des politiques successives.

Jean-Claude Renard  • 15 avril 2010 abonné·es
Images de la vie sans rien
© **Non-assistance à ?** , Diane Grimonet, galerie Fait et Cause, 58, rue Quincampoix, Paris IVe, 01 42 74 26 36, du mardi au dimanche (de 13 h 30 à 18 h 30), jusqu’au 15 mai. Photos : DIANE GRIMONET

Bobigny, Seine-Saint-Denis, 1998. Ils sont une poignée de sans-papiers à occuper la Bourse du travail, adossés aux murs froids du bâtiment. D’autres ont investi la salle paroissiale de l’église du coin. En 2000, 352 clandestins célibataires s’installent dans la Maison des ensembles, un squat de la rue ­d’Aligre, dans le XIIe arrondissement de Paris. En même temps, au centre de domiciliation de France Terre d’asile, un jeune homme s’effondre d’épuisement sur un bureau. À deux encablures, l’église Saint-Ambroise, dans le XIe arrondissement. Occupée par des sans-papiers qui réclament leur régularisation et l’aide de l’Église de France. Ça rue dans les brancards et au-dessus du dallage.

Autre décor, celui de Suzy, en 2001, calée dans la débâcle, la spirale des échecs, du Sud de la France à Paris, du statut de chef d’entreprise au bitume, la rue pour terminus ou les nuits en pavillons d’urgence. Pareille déprime dans le quotidien de Fanny, en 2006, prenant son repas dans une enceinte municipale du IVe arrondissement parisien. Purée de légumes et jus d’orange. L’hiver sera rude. L’été aussi.

Cachan, 2006. La police évacue sans ménagement un vieux bâtiment du Crous de la ville, occupé depuis trois ans par 650 personnes, les jetant à la rue, sous la flotte, plongées dans un capharnaüm. Le maire a mis à leur disposition un gymnase, le bien nommé « Belle Image ». Du provisoire pour un bordel qui entend malgré tout rester digne. On tient à se laver, à se changer, à conduire les mômes à l’école. À peine plus loin, en 2008, en banlieue, à Pantin, une femme de 42 ans vit dans 10 m2 avec ses quatre enfants, à l’Hôtel de Paris, piètre établissement agréé par les services sociaux.

Voilà plus de dix années d’images. Dix années que Diane Grimonet suit à l’objectif les « populations précaires ». Tricards, démunis, esseulés, miséreux, travailleurs pauvres, recalés de l’existence heureuse, à Paris, en banlieue et au nord de la France. Autant de témoignages, autant de détresses sociales. Des images en noir et blanc et en couleur, publiées parfois dans la presse, française et étrangère, diffusées aussi en projection au festival international du photojournalisme Visa pour l’image, à Perpignan, et aujourd’hui exposées à la galerie Fait et Cause, dans le Marais, à Paris. Des images âpres, silencieuses dans la douleur qui perdure, à fleuret ­moucheté devant la mistoufle, rassemblées sous le titre de « Non-assistance à ? ». Pas de quartier pour la pauvreté. Pas de crédit pour la galère. À vrai dire (et voir), il y a moins à s’interroger qu’à s’insurger. « Ce sont des sujets qui ne sont pas visuels, où il ne se passe rien » , considère la photographe. Parce qu’il ne se passe rien dans la vie de ceux qui précisément n’ont pas de vie.

Illustration - Images de la vie sans rien

En 1998, Diane Grimonet est auprès des Roms, dans un campement sur une friche industrielle de Saint-Ouen, rue des Bateliers. Sur l’argentique, se déploie le quotidien du malgré tout, entre désœuvrement et débrouille. En 1999, elle saisit une manifestation pour l’anniversaire de l’expulsion des sans-papiers de Saint-Bernard (en 1996, les gendarmes mobiles ouvraient la porte de l’église à coups de hache, évacuant les trois cents personnes réfugiées). En 2008, elle parvient à pénétrer l’intérieur du Centre de rétention administratif de Vincennes. Des barreaux, des lits superposés, le confinement, l’exiguïté, des effets personnels sous plastique. En 2009, elle fixe le désarroi des réfugiés migrants afghans, après le démantèlement de la « jungle » de Calais.

Dans cette brinquebale des gueux, se bousculent les hôtels de la honte, les hébergements d’urgence, les ballottements exsangues, les squats pour chômeurs et étudiants sans le sou, des ménages à la ramasse, des chambres aux couleurs acidulées. Au diapason de la vie. Chaotique. S’il reste chez la photographe la volonté « de ­rendre leur dignité à ceux qui l’ont perdue » , d’une image l’autre, d’un lieu ­l’autre, c’est là un effrayant constat d’échec (et d’injustice) depuis plus de dix ans, des politiques successives consacrées à l’immigration à celles relatives aux sans-papiers, aux SDF, au logement, aux femmes seules. Les gouvernements changent, les lois s’additionnent, Dalo comprise, la précarité persiste, s’accroche, s’amplifie, grossit ses rangs. Rien n’y fait, sinon un peu de solidarité, devenue un délit.

Société
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