« Independencia », de Raya Martin : L’innocence réinventée

S’inspirant du cinéma
noir et blanc des origines, le Philippin
Raya Martin signe,
avec « Independencia »,
une œuvre très singulière.

Christophe Kantcheff  • 22 avril 2010 abonné·es

Jeune cinéaste, déjà célébré dans les grands festivals (Cannes), le Philippin Raya Martin n’hésite pas à se poser en porte-parole de son peuple, qui a connu le joug de deux colonisations successives. Son premier long métrage de fiction, A Short Film About The Indio National (2006), racontait les prémices d’une révolution contre la domination espagnole, qui aurait dû aboutir à l’indépendance. Le film d’aujourd’hui, Independencia , se situe au début de la période suivante, au XXe siècle naissant. Battue par les États-Unis, qui étaient censés œuvrer en faveur de l’indépendance des Philippines, l’Espagne leur vend son ancienne possession. Dès lors, les Américains n’ont de cesse de conquérir un pays qu’ils estiment être le leur.

La première séquence du film montre une scène villageoise insouciante. Les jeunes filles ont le sourire, un musicien égaie les habitants avec sa guitare. Quand soudain, au loin, résonne une détonation : les Américains ne sont plus très loin. Une mère entre deux âges et son fils décident de se réfugier dans la forêt. C’est là que se déroulera la suite du film, jusqu’à son terme.

Ce qui frappe avant tout, c’est la forme d’ Independencia. On est loin, ici, d’une tentation naturaliste, d’une reconstitution réaliste. Ou, s’il y a reconstitution, elle se situe dans la ­technique du cinéma qui existait à cette époque, avec, toutefois, quelques transgressions. Independencia se présente ainsi en noir et blanc (mais il est parlant), avec un écran rectangulaire rétréci. Les plans sont fixes, sans exception. Bien que l’action se déroule dans une nature quasi vierge, le film a été tourné en studio, avec des plantes d’appartement. Les arrière-plans sont figurés par de grandes toiles peintes. Nous sommes là au summum de l’artifice. Pourtant, ça marche.

Dans sa volonté d’être synchrone formellement avec l’histoire qu’il raconte, Raya Martin retrouve une certaine innocence du cinéma. Mais on ne sent chez lui ni rouerie ni naïveté (ce qui reviendrait au même). Le parfum d’innocence des premiers temps du cinéma n’a rien de kitsch, et ­ Independencia n’est pas une servile imitation : il s’assume comme un film du début du XXIe siècle.

Ce que nous voyons a ainsi sa beauté propre et une étrangeté sidérante. La forêt équatoriale, dans laquelle s’enfoncent la mère et son fils, avec ses oiseaux, ses cours d’eau, sa végétation touffue est à la fois sensuelle et mystérieuse. L’existence des deux personnages trouvant refuge dans une cahute abandonnée, auxquels va se joindre une jeune femme violée par des soldats américains, perdue dans la forêt, prend des allures de robinsonnade, bien que pèse sans cesse la menace d’être découverts. Chaque personnage est également montré en proie à ses pulsions, à ses fantasmes, ce qui leur donne une présence très contemporaine.

L’histoire se focalise peu à peu sur l’enfant de la jeune femme. C’est lui qui symbolise la transmission de l’esprit de résistance à l’oppresseur. La fin du film, qui touche au fantastique, est superbe et fait le pont entre le cinéma des origines et un certain cinéma expérimental. Independencia ne ressemble à rien de ce qui peut se voir aujourd’hui, mais n’est pas non plus une curiosité. Parce que l’invention et l’audace dont fait preuve le cinéaste ne riment pas avec gratuité. Raya Martin n’a que 26 ans. Comme le dit l’expression : il a de l’avenir.

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