Jorge Semprún et nous

Une rencontre avec Jorge Semprún dans Politis  ? L’idée surprendra sans doute certains lecteurs. Il va sans dire que certaines des plus récentes prises de position politiques de l’écrivain franco-espagnol, ancien ministre de la Culture dans l’un des derniers gouvernements socialistes de Felipe González, sont éloignées des nôtres, telle sa défense passionnée d’une construction européenne faisant la part belle à l’économie de marché. Pourtant, Jorge Semprún reste un homme de gauche.

Nous sommes sans doute d’une gauche différente, mais cette longue conversation avec lui ne saurait mettre en doute pareille assertion. Son acceptation immédiate, doublée d’un accueil chaleureux, chez lui à Paris, nous a confirmé, s’il était nécessaire, son ouverture d’esprit, sa tolérance et sa passion du dialogue. Et, comme lui, nous pensons que la confrontation avec d’autres sensibilités au sein de la gauche ne peut qu’enrichir et faire progresser celle-ci.

Or, l’occasion était belle. Jorge Semprún vient en effet de publier un nouveau livre qui réunit une vingtaine d’articles et de conférences prononcées par lui à travers l’Europe au cours de ces vingt-cinq dernières années. Il y interroge l’histoire mouvementée du vieux continent, ravagé, secoué, divisé, détruit même, pour une bonne part, au siècle passé, siècle aussi « court » (Eric Hobsbawm) qu’il fut violent. Jorge Semprún n’hésita pas une seconde à acquiescer lorsque nous lui avons demandé s’il fut « heureux » de vivre au XXe siècle. Pourtant, les textes rassemblés dans cet ouvrage, qui retracent son parcours intellectuel autant que personnel, sont emplis des drames de l’histoire de ce continent, de la Seconde Guerre mondiale et des millions de morts dans les camps nazis jusqu’aux déchirements de la guerre froide en passant par les trois décennies d’une Espagne sous le joug de Franco. Ce livre, composé de petits essais philosophiques, politiques ou historiques, est d’abord le « témoignage » de sa traversée du XXe siècle. Celui d’un intellectuel européen désireux de transmettre aux générations futures une part importante de ce que ce siècle passionnant et passionné lui a appris.