L’adieu au PCF
Incompris et malmenés au sein de leur parti, les communistes unitaires ne veulent plus servir la cause d’une formation dont la survie de son appareil est devenue une fin en soi.
dans l’hebdo N° 1096 Acheter ce numéro
Partiront ? Partiront pas ? Après s’être souvent posé la question, les animateurs historiques du courant « refondateur » l’ont tranchée. Ils s’en vont. Vendredi 26 mars, ils étaient près de deux cents, un peu à l’étroit dans une salle trop petite de la rue Pelleport (Paris XXe), à discuter d’un départ collectif dans une ambiance grave. Une décision douloureuse pour beaucoup après des années de militantisme, des décennies même, passées au sein d’une organisation politique dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Et qui signe l’échec d’un courant apparu au début des années 1990, après l’éviction et le départ des « rénovateurs » et des « reconstructeurs ».
Sur ce point, Gilles Alfonsi, porte-parole de l’Association des communistes unitaires, qui introduisait les débats, nuance : « D’un côté, nous avons pesé ces dernières années en obtenant des avancées sur les questions stratégiques : nous avons gagné la bataille sur l’enjeu de l’unité de la gauche de transformation sociale ; nous avons avancé, en tout cas auprès des militants communistes, sur la stratégie d’indépendance vis-à-vis du social-libéralisme. D’un autre côté, ces avancées ont été à peu près systématiquement gâchées, en partie détruites par les pratiques et les réflexes d’appareil, et nous en arrivons à un front de gauche étriqué, qui s’insère positivement dans le paysage politique, mais dont la nature aujourd’hui est encore celle d’un cartel de partis-guides, là où les textes de congrès évoquent sans cesse l’appropriation par toutes et tous des savoirs et des pouvoirs, contre toutes les dépossessions. »
Parmi les occasions manquées, le succès d’Europe Écologie, qui est parvenu à incarner « l’ouverture à la société civile » quand le Front de gauche « laisse à la porte de l’institution régionale les candidats de la société civile mis en scène pendant la campagne » , est évoqué. Comme les manœuvres d’appareil qui ont abouti à écarter systématiquement les communistes unitaires des listes même quand les adhérents du PCF les avaient démocratiquement investis. Jean-Michel Ruiz, secrétaire fédéral du Val-d’Oise, en a fait les frais. Les militants l’avaient préféré à Francis Parny, vice-président sortant du conseil régional en charge de la culture et proche de Marie-George Buffet, pour conduire la liste dans ce département. Entre les deux tours, Jean-Michel Ruiz a tout bonnement disparu de la liste de fusion ; Francis Parny, qui figurait en 5e position sur la liste, est, lui, élu et se voit confier une nouvelle vice-présidence (sport et loisirs) auprès de Jean-Paul Huchon.
Si certains hésitaient encore à quitter leur parti, la conduite des élections régionales par Marie-George Buffet et son équipe a eu raison des dernières réticences. Le parachutage de Pierre Laurent, coordinateur national et probable futur secrétaire national, passé entre les deux tours de la Seine-Saint-Denis à Paris quand, parallèlement, le secrétaire de la fédération de Paris, Patrice Bessac, faisait le chemin inverse, est décrié. Tout comme la radiation des communistes qui, dans la Nièvre, ont fait le choix de se présenter sur une liste de rassemblement de l’autre gauche quand leurs dirigeants, à quelques voix près, optaient pour l’alliance avec le PS dès le premier tour.
Pour Pierre Zarka, ancien directeur de l’Humanité et initiateur de la réunion, avec une vingtaine de personnalités, dont les députés Patrick Braouezec, François Asensi et Jacqueline Fraysse, et l’historien Roger Martelli, « le devenir du PCF est devenu sa propre finalité, celle-ci se substituant à la transformation de la société ». Un constat partagé par Roger Martelli, pour qui la structure du PCF est « fossilisée » et « irréformable ». Aucun des intervenants de la soirée ne croit encore possible de changer le PCF de l’intérieur. Pour autant, les avis divergent sur les conséquences à tirer de ce constat.
La plupart semblent approuver Pierre Zarka quand il souligne que « continuer à être un peu dedans et un peu dehors ne peut maintenant qu’entraîner de l’impuissance ». « Nous avons besoin d’avoir les mains libres pour élaborer une forme de la politique qui ne dépossède pas les citoyens et une forme d’organisation qui ne cherche pas à se substituer à eux. Les mains libres, mais aussi et surtout l’esprit libre », poursuit-il. Mais quand il indique vouloir se projeter dans un « mouvement collectif » qui s’inscrirait dans la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), des réticences apparaissent.
« Franchement, la Fase, ça ne le fait pas », lâche Alain R., de Nanterre. « La Fase a reproduit des pratiques que l’on avait nous-mêmes » , déplore Jean-Michel Ruiz. Faute de « point de chute », le secrétaire fédéral du Val-d’Oise entend rester à la tête de sa fédération, dont il dit avoir fait une « maison ouverte » . Et ne pas « laisser stérile » le « mécontentement transcourant » soulevé dans ce département par le non-respect flagrant de la démocratie interne.
Adjoint au maire d’Arcueil (Val-de-Marne), Max Staat serait plus enclin à investir le Front de gauche au moyen de comités locaux pour « bousculer les partis qui le composent » et les « conduire à l’émergence d’une force politique nouvelle ». « Personne ne comprendrait que l’on crée quelque chose d’autre maintenant que le Front de gauche existe et s’installe dans le paysage politique » , abonde Julien, un des rares jeunes présents. « Nous allons partir pour quelle fuite ? » , s’interroge le philosophe Lucien Sève, pour qui « une nouvelle force politique est un océan de problèmes ».
Combien seront-ils à quitter le PCF, emboîtant le pas à Patrick Braouezec, qui, la veille, dans un entretien au journal le Monde , annonçait son départ ? « Les conditions sont réunies pour qu’il y ait un départ massif de communistes, élus comme militants » , indiquait-il, non sans avancer que les partants s’investiraient dans la Fase « pour mieux la structurer, la rendre efficace et lisible » dans les élections comme dans les luttes. Ce choix sera-t-il retenu ?
Les réponses à ces deux questions ne seront pas connues avant mi-mai. Pour l’heure, un texte intitulé Nouveau Départ , qui doit résumer les analyses et intentions des démissionnaires, circule pour être discuté et amendé. Ce n’est qu’à l’issue de ce processus de maturation, mi-avril, qu’il sera soumis à signature pour être rendu public un mois avant le congrès du PCF.