Les amis du charbon font grise mine
Dans la Nièvre, syndicats, socialistes et communistes ont soutenu plus de trois ans un projet très polluant d’exploitation de charbon. Il a finalement été abandonné mais les opposants restent vigilants.
dans l’hebdo N° 1096 Acheter ce numéro
Développement industriel, emplois : l’ouverture d’une mine de charbon serait « une chance pour l’avenir de la Nièvre » . C’est ce que clament en chœur depuis des mois les forces vives de la région. Las ! En marge du sommet de Copenhague, Jean-Louis Borloo a finalement annulé le projet. Parce que « la France vise l’exemplarité en matière de respect de l’environnement [^2]
».
Découvert dans les années 1980, le gisement s’étend sur trois communes rurales : Lucenay-lès-Aix, Cossaye et Toury-Lurcy. Avec 250 millions de tonnes, cette réserve serait la plus importante en France [^3]. Jean-François Hénin, surnommé « le Mozart de la finance » , flaire le bon filon. Après avoir créé la Société d’exploitation des ressources énergétiques du Nivernais (Seren), il demande le droit d’extraire la houille. Son projet ? Créer une mine à ciel ouvert et brûler le charbon sur place dans une centrale thermique. Quelques mois plus tard, un concurrent, Valorca (pour valorisation du charbon), dépose à son tour une demande de concession.
Né en 2006, ce projet pharaonique promettait monts et merveilles. Mille emplois pendant la construction, quatre cents pendant les trente-cinq ans d’exploitation, une manne financière pour le département. « Révolution », « très bonne nouvelle », « jackpot », « miracle » , s’extasiait le Journal du Centre, unique quotidien local. Dans un département marqué par le dépeuplement, le chômage et la casse des services publics, la mine suscite l’espoir des principales forces politiques et économiques locales.
Unanimes, les syndicats (CGT, Unsa, CFTC, CFDT, CGC), les partis (PCF, PS, majoritaires dans la Nièvre), la chambre de commerce et d’industrie, les présidents du conseil général et du conseil régional, le député de la circonscription concernée, tous se positionnent en faveur de l’exploitation.
Alors qu’ils réclamaient la mine depuis 1998, les communistes et la CGT deviennent les plus fervents défenseurs d’hommes d’affaires ambitieux. « Le département a besoin d’emplois, le développement industriel est un élément clé pour préparer l’avenir, justifie Bernard Dubresson, cégétiste et porte-parole du Comité pour une exploitation propre du charbon. On aurait préféré que cette mine soit prise en charge par un pôle public. Mais nous sommes dans une économie capitaliste, il faut faire avec. »
La population est, quant à elle, nettement plus partagée. Immédiatement, une Association de défense du sud nivernais (ADSN) est créée, à l’initiative d’habitants directement concernés par la destruction de leur lieu de vie. « Nous comptons plus de 550 adhérents, affirme Christophe Pelletier, l’un des fondateurs, devenu président. Il y a des écologistes, des gens de droite, de gauche, des communistes dissidents… On regroupe toutes les tendances politiques, c’est ce qui fait notre force et notre richesse. » Avec l’appui d’associations de protection de l’environnement et des Verts, seul parti à s’opposer au projet (mais qui compte peu d’élus dans le département), le collectif Stop charbon voit le jour. Argument par argument, les opposants démontent le dossier. Pour eux, le chantage à l’emploi ne tient pas.
« Mille personnes auraient été embauchées pour la construction, développe Christophe Pelletier. Mais elles seraient restées six mois, avant de repartir. Ensuite, il y aurait eu 150 à 200 emplois pendant l’exploitation, c’est-à-dire une trentaine d’années. Et non pas 400, comme ce qui a été annoncé par erreur. » Autre imprécision : les promoteurs ont oublié d’évoquer les pertes d’emplois. « Quinze fermes auraient été dégagées, estime Christophe Pelletier, lui-même éleveur. Or, un agriculteur engendre des emplois. Il fait tourner les abattoirs, par exemple. Une petite usine d’ampoules aurait aussi pu être menacée. Et il faut prendre en compte toutes les familles qui auraient déménagé : est-ce qu’au final il n’y aurait pas eu plus d’emplois détruits que d’emplois créés ? »
Surtout, les adversaires de la mine dénoncent la destruction d’une zone de bocage préservée. « Quand on a parlé de cette mine à ciel ouvert, on est allé en voir une en Allemagne, près d’Aix-la-Chapelle. Et ça nous a effrayés. C’était démentiel, un désastre. Ici, on aurait eu un cratère d’un kilomètre carré, pour 300 m de profondeur. » Le projet prévoyait la destruction de bois, le détournement de deux rivières, l’érection de lignes à haute tension, la construction de routes, d’infrastructures hôtelières… Ajoutez à cela l’émanation de gaz et de poussières toxiques, et les nuisances liées à la hausse du transport.
L’argumentaire dépasse les préoccupations locales, le village classé « trois fleurs » de Lucenay et son voisin Cossaye, leurs prairies et leurs étangs. Comme l’expose Pierre Kaluzny, porte-parole du collectif Stop charbon et président de l’association Loire vivante Nièvre-Allier-Cher : « Nous avons examiné la politique énergétique française, toutes les grandes questions autour des énergies fossiles et du dérèglement climatique », et le charbon est la source d’énergie qui émet le plus de CO2.
N’ayez crainte, ce sera du « charbon propre », le CO2 sera capté et stocké, rétorquent les promoteurs du projet. Mieux, avance un tract du PCF : « Pour lutter contre le réchauffement climatique […], la mise au point à grande échelle des techniques de captage-stockage est incontournable ! » Et voilà comment l’abandon de la mine devient « une mauvaise nouvelle pour la planète »…
C’est aller bien vite en besogne : la technique du captage-stockage de carbone est très controversée. Coûteuse, nécessitant beaucoup d’énergie et affectant le rendement des centrales, elle est, en outre, encore loin d’être au point [^4].
« Les “pro-mine” ont une croyance dans le progrès technologique, qui permettrait de tout résoudre sans remettre en question notre mode de vie, constate Pierre Kaluzny. C’est le discours classique du “progrès”. L’offre de puissance électrique doit toujours être augmentée. Alors que l’urgence, c’est de maîtriser et de diminuer la consommation d’énergie. » Pour Wilfrid Séjeau, élu Vert au conseil régional de Bourgogne, ce dossier est emblématique : « Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre un peu partout. Dans les discours, tout le monde se dit écolo. Mais quand il s’agit de prendre des décisions, les vieux réflexes sont toujours là, la façon de penser des années 1960, la culture politique issue des Trente Glorieuses. C’est le même culte du productivisme, de l’industrie, du développement. Ce projet de mine a permis de démasquer les impostures des prétendus convertis à l’écologie. »
Face au consensus de représentants du peuple désavoués, les opposants ont proposé une autre orientation : développement des énergies renouvelables, mise en place d’une filière bois, redéploiement d’une agriculture locale diversifiée, incitation aux économies d’énergie… « On peut créer de l’emploi localement sans détruire la planète, défend Pierre Kaluzny. N ous, on proposait de décentraliser, de ramener la production d’électricité vers les lieux de consommation, de viser l’autonomie. Nous avons voulu élever le débat sur l’énergie, apporter de la réflexion, développer d’autres pistes, mais c’est un échec. » Chacun campe sur ses positions.
Car la mine n’est pas formellement enterrée. Marcel Charmant, président socialiste du conseil général, considère que la décision de Jean-Louis Borloo « ne ferme pas de manière irrémédiable la porte à une exploitation future du gisement charbonnier ». Le PCF assure : « Le charbon, nous, on le fera exploiter dans cette région. » Et le président de l’Union départementale CGC appelle à se battre « contre la dictature écologique » … Les “anti-charbon” restent donc vigilants. « On a gagné une bataille, mais il y en aura d’autres, prévoit Christophe Pelletier. Maintenant, Valorca demande une autorisation pour extraire du gaz méthane du gisement. Le charbon suscitera toujours des convoitises… Notre association a sûrement des dizaines d’années à vivre. On la transmettra à nos enfants, à nos petits-enfants. »
[^2]: Journal du Centre, 17 décembre 2009.
[^3]: Voir C’est pollué près de chez vous, Pascal Canfin et Wilfrid Séjeau, Les Petits matins, 2008.
[^4]: voir Politis n° 1086.