Les armes, question explosive
Les négociations autour du traité de non-prolifération s’ouvrent le 3 mai à New York dans un contexte international tendu.
dans l’hebdo N° 1100 Acheter ce numéro
Après un début de printemps fécond en rencontres bilatérales et régionales sur le thème du nucléaire, l’heure est aux grandes retrouvailles. Comme tous les cinq ans, les 190 pays signataires du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) se réunissent du 3 au 28 mai au siège de l’ONU, à New York, pour réexaminer un traité aux fondations vacillantes. Entré en vigueur en 1970, le TNP distingue les cinq premières puissances à s’être dotées de l’arme atomique (États-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine), autorisées à la posséder, des autres pays, priés de s’en dispenser. En échange de ce cadre pour le moins asymétrique, les pays nucléaires s’engagent à œuvrer pour le démantèlement de leur arsenal – sans contrainte de date –, pour la non-prolifération des armes nucléaires et l’accès au nucléaire civil des pays membres. Mais ce troisième « pilier » de l’accès au nucléaire civil est devenu bien encombrant : par le jeu du progrès technologique et de la mondialisation, s’appuyer sur une centrale civile pour lancer un programme nucléaire militaire n’a jamais été aussi « facile », à l’échelle d’un État.
Quelques rares nations ne se sont pas embarrassées du traité pour garder les coudées franches. Les frères ennemis indiens et pakistanais ne l’ont pas signé et possèdent chacun l’arme nucléaire, dans un face-à-face angoissant pour de nombreux observateurs. Sans parler de l’instabilité politique du Pakistan, base arrière des Talibans et allié de façade des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Israël est également un pays non-signataire du TNP. Pour des raisons stratégiques, Tel-Aviv n’infirme ni ne confirme officiellement la possession d’une arme que le pays possède bel et bien. Au risque de pousser d’autres États de la région à vouloir s’équiper pour rééquilibrer les forces en présence et faire ainsi voler en éclats le fragile traité. Parmi ceux-ci, l’Iran, au cœur de toutes les discussions. Sommé par l’Occident de renoncer à la technologie nucléaire qu’il lui a pourtant vendue dans les années 1960 et 1970, Téhéran persiste dans sa volonté de disposer d’un programme nucléaire « à des fins pacifiques ».
Neuvième et ultime puissance nucléaire avérée, l’imprévisible Corée du Nord agace depuis sa sortie en 2003 du traité de non-prolifération, que d’aucuns jugent illégale car contraire aux très strictes conditions de retrait du TNP. Loin de ces considérations, Pyongyang a profité de son tour de passe-passe pour peaufiner son programme nucléaire militaire. Faut-il désormais tirer le royaume ermite par la manche pour le réintégrer à la table des négociations ou, au contraire, le considérer comme un contrevenant à châtier ? Madré, Kim Jong-il vient de proposer un marché de dupes à la communauté internationale, par la voix de son ministre des Affaires étrangères : Pyongyang ne produirait pas « plus [d’armes nucléaires] que nécessaire » si la Corée du Nord était intégrée aux efforts de désarmement en tant qu’État nucléaire. Un statut indispensable pour jouer dans la cour des grands sur la scène diplomatique, que la France et les États-Unis se sont empressés de refuser à la Corée.
On le voit, la conférence d’examen du TNP risque d’être animée. Il faudra avant tout éviter l’apparition d’un « dixième domino » qui provoquerait immanquablement l’apparition d’autres programmes nucléaires. Tout en renforçant le contrôle des installations de nucléaire civil dans un jeu du chat et de la souris au scénario incertain. Dans ce contexte, les cinq puissances nucléaires officielles doivent s’engager dans un processus plus contraignant de désarmement complet. Les États-Unis et la Russie, détenteurs de 95 % des 23 000 armes nucléaires dans le monde, ont fait un pas en ce sens avec un nouveau traité bilatéral de désarmement signé début avril. En France, tout reste à faire, si l’on en croit les déclarations de Nicolas Sarkozy à Washington, le 12 avril dernier. Pour le président d’un État qu’aucune nation ne menace depuis plusieurs décennies, la bombe nucléaire est « garante de la sécurité de [son] pays » . Entre un tel manque de vision politique et l’influence du puissant lobby de l’industrie nucléaire et militaire hexagonal, le nucléaire militaire français peut dormir tranquille.