Pasqua, fin de partie pour l’homme de l’ombre

Face à la Cour de justice de la République, Charles Pasqua livre, à 83 ans, le dernier combat d’une vie politique faite de « coups » que l’épilogue judiciaire sanctionne imparfaitement.

Michel Soudais  • 29 avril 2010 abonné·es
Pasqua, fin de partie pour l’homme de l’ombre
© PHOTO : MULLER/AFP

C’est un prévenu hors du commun qui comparaît depuis le 19 avril devant la Cour de justice de la République. Charles Pasqua doit y répondre de faits présumés de corruption remontant à l’époque où il était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement d’Édouard Balladur (1993-1995). Les juges doivent déterminer quel rôle a joué le sénateur UMP des Hauts-de-Seine dans trois dossiers. Ce procès tardif, qui intervient après que des juridictions ordinaires ont déjà condamné les autres protagonistes
– hommes d’affaires, cadres d’entreprise, hauts fonctionnaires – de ces malversations, clôt un parcours politique lui aussi hors du commun.
Figure de la famille gaulliste, Charles Pasqua a commencé son itinéraire politique en un temps où l’ENA ne commandait pas encore les carrières. Entré à 16 ans dans la Résistance aux côtés de son père, gardien de la paix, et de son oncle, il expliquera plus tard devoir ce qu’il est à ses « parents, au général de Gaulle, mais aussi en partie à Paul Ricard » . Car c’est dans la célèbre société de pastis que le jeune Pasqua apprend la vie. Licencié en droit, il y entre en 1952 comme ­simple représentant et en gravit les échelons : inspecteur des ventes, directeur régional, directeur des ventes pour la France, directeur des exportations… En 1963, il est numéro deux du groupe. Mais échoue un an plus tard à conquérir la chambre de commerce de Marseille.

Il monte bientôt à Paris et n’en redescendra jamais. Quand surviennent les événements de Mai 68, Charles Pasqua est vice-président du Service d’action civique (SAC), une sorte de police parallèle gaulliste créée à la toute fin des années 1950, après en avoir été le chargé de mission régional pour les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes. Il y côtoie des militants modestes mais aussi des gros bras et quelques truands. S’il leur fait un moment distribuer des armes par crainte d’une attaque de l’Élysée par les manifestants, il organise aussi la réaction à « la chienlit » en lançant des Comités de défense de la République qui permettent à des hommes d’extrême droite de rejoindre la majorité. En organisant surtout en un temps record la grande manifestation de soutien au régime du 30 mai, sur les Champs-Élysées, qui sera longtemps son plus grand fait d’armes.

Un « coup » qui permet à Pasqua de gagner le droit de se présenter aux législatives du mois de juin. Élu dans la circonscription de Clichy-Levallois après une campagne musclée, émaillée d’incidents, il ne parviendra pas vraiment à prendre pied à l’Assemblée nationale. On se méfie de ce fort en gueule aux costumes rayés issu des services d’ordre gaullistes. Battu en 1973, Charles Pasqua va se dévouer pour Jacques Chirac, qui, à ses yeux, a longtemps fait figure de meilleur héritier du gaullisme. Son habileté à monter des réseaux aide ce dernier à abattre Jacques Chaban-Delmas en 1974. En 1976, il est l’artisan de la fondation du RPR, qu’il a préparée avec Marie-France Garaud et Pierre Juillet. Il orchestre la campagne municipale victorieuse de son poulain à Paris l’année suivante.

Homme de l’ombre, il est alors le cauchemar de la droite centriste et libérale. Ses méthodes –  « La politique, ça se fait à coups de pied dans les couilles » , a-t-il coutume de dire – se retournent parfois contre lui. En 1979, secrétaire général adjoint du RPR, il démissionne en pleine ascension après qu’un de ses proches a été pris en flagrant délit de falsification du procès-verbal du scrutin qui devait renouveler le comité central du RPR. Ce qui n’empêche pas Jacques Chirac de lui confier l’organisation matérielle de sa campagne présidentielle en 1981. Malgré des meetings monstres, un marketing directement hérité de Ricard, et des sondages truqués, le résultat est décevant. Avec 17,99 %, Chirac est éliminé au premier tour… mais la campagne n’est pas finie. Charles Pasqua négocie avec l’entourage de François Mitterrand l’envoi sur le fichier du RPR de l’appel d’un gaulliste de gauche à battre… Valéry Giscard d’Estaing.
Est-ce à cause de cet épisode ? Recasé à la tête du groupe RPR du Sénat, où il est entré par la petite porte en 1977, Charles Pasqua ne parviendra jamais à conquérir la présidence du Sénat, occupée par «  ce con de Monory », un giscardien. Même après son premier passage au ministère de l’Intérieur, entre 1986 et 1988 ! Il est vrai qu’à ce poste, le « terrible Monsieur Pasqua » a continué de travailler à la promotion de son « ami » Chirac en se posant comme un homme à poigne qui n’hésite pas à draguer l’électorat d’extrême droite : il veut alors « terroriser les terroristes » , affirme que « la démocratie s’arrête là où commence l’intérêt de l’État » , fait voter une loi rendant plus difficile l’accès à la nationalité française et estime que le Front national partage les «  mêmes valeurs que la majorité » . Épouvantail de la gauche, qui le tient responsable de la mort de Malik Oussekine, un jeune homme d’origine marocaine tombé sous les coups de la police pendant une manifestation étudiante à Paris, il séduit les militants RPR par sa gouaille et son « amour du peuple » revendiqué.

Un « amour » qui le pousse à ­prendre ses distances avec Jacques Chirac après son deuxième échec à la présidentielle en 1988. Convaincu que son héros « n’a plus rien dans le ventre » , « Charlie » s’émancipe. Après une tentative de fronde avortée au RPR, il crée Demain la France et fait campagne pour le « non » au traité de Maastricht avec Philippe Séguin. La question européenne ne l’empêche toutefois pas de retourner place Beauvau, dans le gouvernement d’Édouard Balladur, dont il va défendre la candidature présidentielle, contre Jacques Chirac.

S’il s’enorgueillit d’avoir en charge l’Aménagement du territoire, c’est dans le registre classique de l’Intérieur qu’il se signale encore : il donne son nom à une loi restreignant le droit d’asile, préside à l’arrestation du terroriste Carlos, ainsi qu’à la « neutralisation » sur l’aéroport de Marseille d’un commando qui avait détourné un Airbus parti d’Alger. En 1995, il s’illustre aussi, avec l’aide de son ami Jean-Charles Marchiani, dans la libération des pilotes français capturés en Bosnie, sans qu’en aient été clairement élucidées les modalités et conditions.

Lui qui a passé une bonne partie de sa vie à agir dans l’ombre d’un chef prend goût à la lumière. En 1999, sa liste « souverainiste », constituée avec Philippe de Villiers, est un succès. Avec 13,05 %, il bat la liste RPR-DL conduite par Nicolas Sarkozy, qui doit abandonner la présidence par intérim du mouvement chiraquien. Une jolie revanche sur le jeune impertinent qui lui a soufflé la mairie de Neuilly-sur-Seine seize ans auparavant. Mais une victoire sans lendemain. Le Rassemblement pour la France, qu’il fonde dans la foulée des européennes, en référence au RPF créé par de Gaulle, vire à la farce. Il ne permettra pas à Charles Pasqua de se présenter à la présidentielle de 2002. Et celui-ci, retiré au Sénat, cède en 2004 à Nicolas Sarkozy sa présidence du conseil général des Hauts-de-Seine, détenu pendant quinze ans.

Ne subsiste de cette longue équipée politique qu’une accumulation de mises en cause judiciaires. Derniers vestiges des règlements de comptes qui ont furieusement agité la droite.

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