Photo de jeunesse
Exposition: le Petit-Palais, à Paris, revient sur les premiers pas de la photographie
en Italie, quand elle fait l’apprentissage du négatif.
dans l’hebdo N° 1098 Acheter ce numéro
Aux premiers jours de janvier 1839, François Arago présente à l’Académie des sciences un tout frais procédé qui permet de reproduire sans intervention manuelle les images formées à l’intérieur de la chambre obscure. C’est le daguerréotype. Trois semaines plus tard, outre-Manche, William Talbot avance à la Royal Society de Londres un autre procédé de photographie. Sur papier et non pas sur métal. Avec un avantage important : il autorise la réalisation d’images multiples, l’obtention, à partir d’un négatif, d’autant de tirages positifs désirés. La photographie est née, et avec elle une querelle de paternité, de fabricants, de procédés avec leurs enjeux commerciaux. Le négatif papier possède un autre avantage encore : il offre un rendu velouté et une palette de tonalités qui se prête joliment à la photographie de paysages. Des effets de sfumato en somme, à la manière de Léonard de Vinci. Talbot ne tergiverse pas devant sa découverte. Il forme ses proches, invités à promouvoir cette technique révolutionnaire, dite le talbotype ou calotype. Des férus d’art, des aristocrates, une élite cultivée de peintres et d’architectes s’adonnent à ce genre nouveau (qui vaut tripette).
George Bridge et Calvert Richard Jones comptent ainsi parmi les premiers à parcourir l’Italie, berceau des arts, équipés pour la prise de vue sur papier, entraînant avec eux d’autres artistes, comme les Français Frédéric Flachéron et Alfred-Nicolas Normand, ou l’Italien Giacomo Caneva. Ils formeront plus tard l’École romaine de photographie, palabrant au chic Caffè Greco, via Condotti. Ce qu’on observe notamment dans cette exposition présentée au Petit-Palais, à Paris, à travers cent quarante œuvres puisées dans les collections italiennes et françaises, dressant « l’éloge du négatif » , son utilisation en Italie, entre 1846 et 1862. Une exposition résolument pédagogique, riche d’images et d’explications sur les techniques d’alors.
En attendant de faire « école », la photographie entame sa tournée inaugurale, étrenne ses boîtes noires. Quelques sujets dominent alors (temps de pause oblige) : les paysages, les ruines antiques, les sculptures et les monuments. Tout le fromage du pittoresque. Sur négatif, la Ville éternelle a forcément la part belle. Gustave de Beaucorps s’arrête devant la petite église de San Pietro in Vincoli, abritant le Moïse de Michel-Ange, Gioacchino Altobelli fixe le Forum, Giacomo Caneva encastre le temple de Vesta et l’arc de l’aqueduc de Claude sur un air de grandeur passée. En héritiers des « vedutistes », ils profitent de leur formation de peintre pour jouer du clair-obscur. À Florence, Vero Veraci emboîte le baptistère San Giovanni puis la Persée de Benvenuto Cellini brandissant la tête de Méduse, et Eugène Piot lève son appareil vers la coupole de Santa Maria del Fiore. À Paestum, Alphonse Davanne rajoute une couche d’éternité au temple d’Héra tandis qu’Alfred-Nicolas Normand préfère la métonymie d’un chapiteau à Pompéi. Plus au sud et en Sardaigne, Louis Vignes et Édouard Delessert alignent les vues.
La photographie s’instruit, tâtonne, négocie avec les imperfections. Elle construit sa genèse, sans lézarder sur le motif. Rome n’est pas encore capitale d’une Italie unifiée, mais elle concentre rapidement un grand nombre d’ateliers qui répondent à la demande touristique d’une foule voyageant en train (lui aussi en plein essor), en quête de souvenirs, d’imaginaire. C’est l’avantage de la reproduction. Dans la cité des Médicis, les frères Alinari vont imposer leur agence et sa cohorte de photographes sur l’ensemble du territoire (muée en fondation, cette agende possède le fonds le plus important encore aujourd’hui en Italie). L’estampe et la lithographie n’ont plus la cote, l’artisanat cède peu à peu sa place à l’ère industrielle. La photographie devient un métier. Avec ses genres, sa grammaire. Bientôt, le succès du négatif sur verre au collodion, plus précis, plus fidèle, va remplacer le papier, légèrement flou. Mais, déjà, le portrait (souvent folklorique, encostumé) et le reportage s’ajoutent à la nature morte. James Graham, en 1858, donne ainsi une première image d’une coulée de lave sur les pentes du Vésuve, tandis que Gustave Le Gray, toujours au négatif sur papier, cornaque la rencontre entre la photographie et l’histoire (immédiate), en suivant pas à pas le périple sicilien de Garibaldi, en 1860, en route pour l’unité italienne. Voilà donc, en images d’archives, à la fois une histoire de l’Italie et de la photographie.