Qui sont les loups ?

Livre cauchemar, déambulation onirique, « les Hommes Loups » joue des images et des textures. Splendide.

Marion Dumand  • 29 avril 2010 abonné·es

Entre chien et loup, la couverture annonce bien la couleur. Les couleurs d’abord, turquoise et gris bleu, bordeaux bordant le ciel. Masses sombres ou éclatantes que travaillent différentes textures, crayons, gouache, encre peut-être. Le titre apparaît en lisière de forêt, exactement partagé entre sapins noirs et lac glacé, ou prairie givrée. Les Hommes Loups se tient là, à la jonction du quotidien et du cauchemar, quand la nature isole et les humains inquiètent. Les hommes loups se tiennent là, en plein champ sémantique : « Un enfant-loup est une victime et sa non-construction est notoire. Un homme-loup régit ses affaires d’un bureau, serre la main de ses associés qui sont parfois ses victimes. » En début et fin de livre, les très courts textes de Guy Marc Hinant ouvrent des pistes. À la poursuite des hommes loups de Dominique Goblet.

Ceci n’est pas une bande dessinée, au sens classique du terme. Dominique Goblet quitte la clarté du récit autobiographique de Faire semblant, c’est mentir pour nous entraîner en un terrain mouvant. Sans nous ­perdre tout à fait. Car les Hommes Loups possède le rythme d’une fugue et la liberté d’un poème. Des motifs se retrouvent : prédateurs, proies, maison isolée. Ils se déclinent aussi. Voici le petit chaperon vert, vert de trouille, englouti par la forêt émeraude, où perce une ligne rouge sang. Et c’est comme un écho à un autre enfant. À la marge, sa silhouette vide ; à la marge, sa tête sans visage ; à la marge, le lit à barreaux. La marge est grisâtre, parce que, central, un carré mêle rouge et noir. La peur –  « Mais il y avait quelque chose sur mon lit »  – se matérialise, la cause, elle, ne se dévoile pas.
Les prédateurs aussi se métamorphosent. Souvent, ils se vêtent de costumes, à la manière des cadres sup, des boursicoteurs, des hommes d’État. Ils aiment à échanger de longues poignées de main ( « Toute négociation se terminant par une poignée de main commence par un incident » ), mais la main de Dominique fait tomber les masques : hypocrites hommes sans tête, loups-garous élégants. À moins qu’elle ne fige, avec un marqueur orange fluo, des chasseurs prêts au tir, des chasseurs en bande. C’est encore eux qui ricanent, noir sur fond rouge, dans un tableau de chasse sanguinolent. Seul le loup abattu y est immaculé.

Beauté trouble que celle des Hommes Loups. Elle est aussi riche de sens que de matières. Dominique Goblet travaille de multiples supports et techniques : toile, cahiers d’écolier, scotch de peintre, encre, crayon, feutre, peinture… Elle assemble, superpose, ordonne, recadre. Les compositions éblouissent, leur succession inquiète.

Culture
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