Retraites : revue des forces avant la bataille
Nicolas Sarkozy a fait de la « réforme » des retraites l’objectif numéro un de son mandat. L’affrontement avec le monde du travail est prévisible, mais, pour que le combat soit efficace, l’opposition doit être unie.
dans l’hebdo N° 1098 Acheter ce numéro
Si l’on osait emprunter au peu regretté Saddam Hussein, on parlerait volontiers de « la mère de toutes les batailles » . Soit. La réforme des retraites, ce n’est pas la guerre, mais l’affrontement promet d’être rude. C’est Nicolas Sarkozy lui-même qui a fait monter les enchères, assurant qu’il s’agissait là de l’objectif numéro un de son mandat. Il a donné à cette affaire un contenu éminemment politique. Une lame à double tranchant. Chacun a compris qu’une reculade de la droite constituerait une défaite majeure qui transformerait le locataire de l’Élysée en roi fainéant pour les deux dernières années de son quinquennat. L’opinion garde également le souvenir de la cuisante défaite du tandem Chirac-Juppé en décembre 1995, à l’issue d’un affrontement alors limité à la Fonction publique.
Les retraites, c’est l’un des acquis les plus précieux du mouvement ouvrier. C’est un dossier qui, à l’instar de l’impôt, concentre toutes les questions de société. L’acquis social est dans le système lui-même, par répartition. Un système de solidarité intergénérationnelle. La droite lui oppose la perspective d’une assurance individuelle. Certes, officiellement, Sarkozy jure ses grands dieux que le système ne sera pas remis en cause. Explicitement, non. Mais il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que le report de l’âge légal du départ en retraite (fixé aujourd’hui à 60 ans), aggravé d’une augmentation du nombre de trimestres nécessaires pour avoir droit à un taux plein, et cela dans un contexte de crise de l’emploi et de départs anticipés provoqués par les employeurs, va renforcer progressivement les complémentaires privées. C’est toujours ainsi que la droite procède. On ne s’attaque pas de front au système ; on l’affaiblit et on permet aux compagnies d’assurance de mettre le pied dans la porte.
Mais, depuis quelques semaines, le contexte de la bataille n’est plus le même. Le désastre électoral des régionales, la fronde d’une partie de la droite sur le très symbolique bouclier fiscal, et l’ambiance fin de règne qui plonge l’Élysée dans une ambiance vaudevillesque, tout cela contribue d’une façon ou d’une autre à affaiblir l’exécutif. Politiquement, le rapport de force n’est guère favorable à Sarkozy. Mais voilà, pour qu’il y ait conflit, il faut aussi qu’il y ait une opposition, et une opposition unie. Et il faut que l’opposition ait en face des fausses évidences débitées depuis des mois par la droite des arguments susceptibles de convaincre l’opinion qu’il n’y a pas de fatalité démographique à reporter l’âge légal du départ en retraite, ou à augmenter la durée du temps de travail. Voire à faire les deux, comme c’est manifestement l’objectif du gouvernement. Il faut un vrai discours pour démontrer que les « privilèges » ne sont pas là où le prétend la droite, c’est-à-dire dans la Fonction publique, et qu’il existe d’autres moyens de rééquilibrer les comptes de la sécu. Hélas, la CFDT et une partie des dirigeants du PS ne sont pas très éloignées des positions de la droite.
Les solutions évoquées ici même par la Fondation Copernic, notamment, vont-elles être relayées par les forces politiques et syndicales ? Vont-elles pénétrer l’opinion ? C’est à cette condition que la bataille peut être gagnée. Sinon, on arrivera à cette issue absurde qui consisterait à servir à Nicolas Sarkozy une victoire dont il n’a plus vraiment les moyens. La bataille commence cette semaine, avec une série de « consultations » des syndicats. Elle devrait converger à l’automne vers le débat au Parlement. Le seul échéancier, présenté par le gouvernement, montre d’ailleurs la brutalité de l’assaut qui se prépare. Sarkozy promet de ne pas passer « en force ». Mais comment fera-t-il autrement pour ficeler sa « réforme » avant l’été et la faire voter au Parlement à la rentrée ? À moins qu’il ne se passe rien dans le pays, qu’une désinformation massive ait fait son œuvre, que la destruction d’un de ces acquis sociaux qui font société soit admise comme une fatalité. Le simple effet mécanique d’une courbe démographique. Il dépend du mouvement syndical et de la gauche qu’il n’en soit pas ainsi. Quoi qu’il advienne, ce qui est sûr, c’est que l’issue de cette bataille pèsera lourdement sur le rapport de force politique pour les deux années à venir.