Sport : entretien avec Jean Lapeyre
Directeur général adjoint de la Fédération française de football, Jean Lapeyre tente de calmer
la polémique concernant les licences bloquées de jeunes joueurs étrangers ou d’origine étrangère.
dans l’hebdo N° 1097 Acheter ce numéro
Politis : Le nouveau règlement pour l’attribution des premières licences est mis en cause comme étant discriminatoire à l’égard des mineurs étrangers ou d’origine étrangère (voir Politis 1095). D’où vient ce texte ?
Jean Lapeyre : Ce règlement n’émane pas de la Fédération française de football (FFF) mais de la Fédération internationale de football association (Fifa), à laquelle nous sommes affiliés, avec plus de 200 fédérations dans le monde. Pour lutter contre les trafics de jeunes joueurs étrangers, notamment africains, la Fifa a mis en place une réglementation qui interdit les transferts de mineurs étrangers (article 19, alinéa 3). Ce texte assimile les transferts et les demandes de première licence car il aurait été facile, sinon, de contourner la loi, en présentant, par exemple, une première demande de licence en France pour un enfant déjà licencié ailleurs. La Fifa a établi quatre dérogations : les transferts sont autorisés quand les parents déménagent, pour les ressortissants européens, pour les pays frontaliers et, quatrième motif tiré de sa jurisprudence, quand on peut justifier de cinq ans de présence sur le territoire. C’est une ouverture supplémentaire, mais deux ans de présence suffiraient. C’est en ce sens que nous voudrions faire modifier le règlement.
Cette retouche ne changerait pas l’esprit de ce texte, qui exclut des enfants étrangers. Que comptez-vous faire au sujet des licences bloquées ?
La Fifa s’est aperçue qu’aucune fédération n’appliquait correctement ses directives en matière de lutte contre les trafics. En octobre 2009, elle s’est donc pourvue d’une commission chargée de traiter tous les cas de transferts de mineurs et de premières licences. La FFF l’a vite avertie que cela concernait 11 000 premières licences et 4 000 transferts en France et qu’elle ne pourrait matériellement pas gérer tous les dossiers. La FFF est donc maintenant mandatée pour s’en occuper. Faire remonter nos statistiques et obtenir cette dérogation a pris deux mois et demi. Pendant ce temps, les demandes de licences ont été bloquées. Soit 1 000 nouvelles licences dans toute la France, près de 800 pour l’Île-de-France. Aux ligues régionales, qui délivrent les licences, nous avons donné des consignes claires : on est obligé de respecter le règlement Fifa, mais il faut l’appliquer de manière intelligente, en faisant du cas par cas et en se demandant à chaque fois si on est face à un présumé trafic d’enfants. Quand on a la certitude que l’enfant est en France avec ses parents, ce qui évacue le risque de trafic à 98 %, la licence est accordée, même si on n’est pas « dans les clous » par rapport au règlement. Aujourd’hui, tous les dossiers ont été débloqués sauf une dizaine, sur lesquels nous avons un doute.
Pourquoi maintenir cette liste de pièces administratives à présenter alors que nombre de personnes ne sont pas en mesure de les fournir ?
La liste des pièces demandées par la FFF pour l’obtention d’une licence s’inspire de celle de la Fifa mais elle est plus souple. Il y a le règlement et son interprétation. À chaque président de club d’arbitrer. Nous avons prévenu la Fifa que nous étions en accord avec l’esprit de son règlement mais pas avec ses conséquences. Il y a effectivement des différences de traitements entre les joueurs français et les joueurs étrangers, mais aucune intention d’exclusion derrière. Pour la FFF, le foot va bien de pair avec l’intégration ! La Fifa a voulu ratisser trop large. Nous devons lui faire comprendre qu’il faut cibler davantage pour éviter les « dommages collatéraux ».
Comme les conséquences
de ce règlement sont connues, pourquoi ne pas le retirer ?
On ne peut pas ! Nous ne sommes pas autonomes par rapport à la Fifa. Sommes-nous les seuls à appliquer ses règlements ? Notre unique moyen d’action, c’est de réclamer des modifications. Pour ce faire, la Licra et la Ligue des droits de l’homme peuvent nous aider.
Cette affaire vous permet de faire connaître votre volonté de lutter contre les trafics de jeunes joueurs. Quelle en est la réalité ? Comment la FFF s’y oppose-t-elle ?
Chaque année, le FFF découvre quelques cas. C’est encore trop, mais c’est marginal. Il s’agit rarement de gamins abandonnés mais plutôt de jeunes pris en main par des gens peu scrupuleux qui pensent, ou leur font croire, qu’ils ont un avenir dans le football. Si la Fifa entend contrôler les circuits amateurs, ce n’est pas pour attaquer les « petits joueurs », mais parce qu’on sait que les trafiquants ne mettent pas directement les gamins dans des clubs professionnels, ils les « blanchissent » d’abord dans des clubs amateurs. Les réseaux sont difficiles à démanteler. Récemment, on a appris qu’une dizaine de jeunes joueurs s’étaient retrouvés dans la même région, avec, comme par hasard, le même tuteur. C’est d’ailleurs le nouveau règlement Fifa qui nous a permis de les repérer. Une dizaine de transferts pour mille premières licences bloquées, le ratio est mauvais, mais le système est bon. Il faudrait néanmoins modifier le règlement en tenant compte des problèmes que nous avons rencontrés avant la nouvelle saison, qui démarre le 1er juillet. La Fifa est saisie. Si elle ne réagit pas à temps, nous prendrons des mesures officielles.
D’après Jean-Claude Mbvoumin, de Foot Solidaire, des centaines de jeunes footballeurs étrangers se retrouvent sans papiers en France à l’issue d’un contrat de plusieurs années avec un club. Que prévoir les concernant ?
Quand on a réussi à décrocher ce type de contrat, c’est qu’on a un bon potentiel et qu’on peut espérer trouver une place au moins dans un club amateur. Quand le niveau n’est pas bon, c’est plus difficile, mais il existe des perspectives de formation et d’insertion. On a eu des échanges avec Jean-Claude Mbvoumin et la Ligue de foot professionnel à ce propos.
Le règlement Fifa a également pour but de casser les faux rêves des gamins des pays pauvres, et de contraindre les clubs pour éviter trafics et déracinements. Sur ces sujets, la communication de la FFF est défaillante. Nous allons y travailler.