Tchernobyl attend encore

La catastrophe ukrainienne reste l’un des grands ratés de l’histoire de la santé publique. Le collectif Independant WHO dénonce la tutelle de l’AIEA
sur l’OMS concernant les effets des rayonnements ionisants.

Collectif Independant WHO  • 22 avril 2010 abonné·es

Il est d’usage de dire que la catastrophe de Tchernobyl a eu lieu le 26 avril 1986. En réalité, il faudrait plutôt dire que c’est à cette date qu’elle a commencé. Véritable bombe lancée dans le futur, elle ne cesse de prolonger ses conséquences sur de larges territoires…
De cette vérité, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) n’a jamais pris la mesure. La plus grosse institution internationale dédiée à l’amélioration de la santé est ficelée par les puissances nucléaires et par les institutions qui en émanent. Un accord peu connu – référencé WHA 12-40 et datant de 1959 – engage l’OMS à soumettre d’éventuels travaux sur les rayonnements ionisants à la permission d’une consœur onusienne, l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), dont la finalité est la promotion de l’atome « pacifique ».
Depuis, l’OMS a perdu toute autonomie dans l’étude des conséquences de la radioactivité sur la santé, où chacun de ses communiqués ne fait qu’accompagner celui de l’AIEA. Les conséquences réelles de Tchernobyl, qui menaceraient les programmes nucléaires si elles étaient officiellement reconnues, se doivent donc d’être toujours minorées par le lobby nucléaire. Jusqu’à nier les évidences : le dernier communiqué OMS/AIEA sur le bilan de la catastrophe, en septembre 2005, évoquait une cinquantaine de morts et environ quatre mille cancers pouvant se révéler mortels… Alors que plus de 800 000 « liquidateurs », par exemple, réquisitionnées en 1986 pour décontaminer le site, dans des conditions souvent déplorables, ont pour un grand nombre perdu la santé ou la vie des suites de leur irradiation [^2].

Ce réductionnisme systématique engendre une défaillance grave de l’OMS à l’égard des populations affectées par l’accident. Il est d’autant plus impardonnable que de nombreux scientifiques, médecins, journalistes et citoyens témoignent de la prolongation du désastre dans les régions contaminées.
Le cas de Belrad est emblématique. Seul institut indépendant des pouvoirs, au Bélarus, il vient en aide aux enfants, les premiers touchés de ce pays. Pourtant, Belrad ne reçoit aucune aide financière publique. Sa candidature à un appel d’offres d’Europe Aid, par exemple, a été rejetée au motif que « la thématique de [son] projet n’est pas d’actualité » … Au même moment, en avril 2009, des déclarations OMS/AIEA prétendaient que les territoires affectés par les retombées radioactives de Tchernobyl ne sont plus dangereux pour les populations, et qu’il faut seulement les « rassurer par des conseils pratiques » et les convaincre « d’un retour à la vie normale »…

Depuis trois ans déjà, les citoyens réunis autour du collectif IndependentWHO (Pour Indépendance de l’OMS) enracinent une protestation face au siège de l’OMS, à Genève, par une présence silencieuse, chaque jour ouvrable, pour demander la révision de l’accord de 1959 avec l’AIEA. De démarches en pressions, une délégation du collectif a pu être reçue en juillet 2009 par de hauts responsables de l’agence. Au cours de la rencontre, a été évoquée l’organisation d’un forum confrontant les experts de l’OMS aux chercheurs indépendants – tels les auteurs du livre récemment publié par la prestigieuse Académie des sciences de New York : Chernobyl : Consequences of the Catastrophe for People and the Environment  [^3]. Un ouvrage de référence qui rassemble plus de 5 000 articles et résultats de scientifiques travaillant et vivant dans les territoires sinistrés – jusqu’alors disponibles uniquement en langues slaves pour la plupart, donc très peu accessibles à l’Ouest. Là où les rapports onusiens ont été basés sur moins de trois cents enquêtes ponctuelles ou limitées émanant pour l’essentiel de scientifiques occidentaux.
Le débat contradictoire autour des conséquences de Tchernobyl doit s’imposer. L’institut Belrad doit être soutenu. Et l’OMS doit retrouver dans tous les domaines son indépendance et sa vocation première : la protection de la santé de toutes les populations.

[^2]: À l’occasion du « Chernobyl Day 2010 », IndependentWHO () présente du 24 au 26 avril (9 h-20 h), sur l’esplanade du Trocadéro à Paris, une exposition de 300 portraits de « liquidateurs » de l’accident de 1986 (inauguration le 24, à 15 h).

[^3]: Alexey Yablokov, Vassily Nesterenko et Alexey Nesterenko ; accessible (payant) sur

Idées
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
Thiaroye, un massacre colonial
Histoire 20 novembre 2024 abonné·es

Thiaroye, un massacre colonial

Quatre-vingt ans après le massacre par l’armée française de plusieurs centaines de tirailleurs africains près de Dakar, l’historienne Armelle Mabon a retracé la dynamique et les circonstances de ce crime odieux. Et le long combat mené pour briser un déni d’État aberrant.
Par Olivier Doubre
L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes
Intersections 19 novembre 2024

L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes

La comédienne Juliette Smadja, s’interroge sur la manière dont les combats intersectionnels sont construits et s’ils permettent une plus grande visibilité des personnes concernées.
Par Juliette Smadja
États-Unis, ramène la joie !
Intersections 13 novembre 2024

États-Unis, ramène la joie !

La philosophe, professeure à l’université Paris VIII et à la New-York University, revient sur les élections aux Etats-Unis et examine l’itinéraire de la joie dans un contexte réactionnaire : après avoir fui le camp démocrate, c’est désormais une émotion partagée par des millions d’électeurs républicains.
Par Nadia Yala Kisukidi