Violence contre violence

La politique du ministère contre les agressions reste en décalage avec le quotidien des établissements scolaires.

Ingrid Merckx  • 15 avril 2010 abonné·es

Jeudi 8 avril. Deuxième journée des États généraux de la sécurité à l’école. Six cents représentants de la communauté éducative sont réunis à la Sorbonne pour plancher sur les violences scolaires. Le même jour, au lycée professionnel Bouvet de Romans (Drôme), classé ZEP, ces États généraux font figure de non-événement. « On n’en attend pas grand-chose » , soupire une enseignante. Qui voit là une nouvelle occasion de souligner l’écart entre les politiques éducatives et le quotidien des établissements. Des actes de violence, il y en a dans ce lycée « où tous les indicateurs sociaux sont au rouge » .
Violences verbales, surtout, mais physiques aussi : récemment, un élève a frappé un surveillant, et un autre a menacé un professeur avec une arme en plastique. « Des actes graves, admet un membre du personnel, qui ne seraient pas arrivés si nous étions davantage d’encadrants. Notre priorité, c’est de faire comprendre à notre hiérarchie que réduire le volume d’enseignement a des conséquences en matière de sécurité, mais aussi de pédagogie  ! » Début mars, 80 % des enseignants de Bouvet étaient en grève pour protester contre la dotation horaire globale (DHG) 2010, qui prévoit 30 heures d’enseignement en moins pour la rentrée prochaine. Ce qui signifie que certains effectifs passeront de 12 à 24. « Un pari dangereux concernant des classes en détresse sociale et scolaire, résume une lettre adressée au recteur par des enseignants réunis en collectif ^2. Un grand nombre d’élèves viennent d’Erea, de Segpa [enseignements adaptés, NDLR], d’UPI [classes d’intégration] et de 3e d’insertion, et beaucoup bénéficient d’un tiers-temps aux examens. Ces derniers ont comme seul repère le travail en petit groupe car ils présentent des problèmes de dyslexie, de dysphasie, de dysorthographie, d’autres sont primo-arrivants et ne maîtrisent pas du tout la langue française à l’écrit, voire parfois à l’oral. » Il faudrait rétablir plus de 27 heures d’enseignement en CAP pour que ces élèves puissent « apprendre, comprendre les consignes, respecter la vie en groupe, progresser, améliorer leur estime de soi… » , énumèrent leurs professeurs. « Sinon, quelle est la spécificité ZEP ? » Leurs espoirs reposent sur une intervention du recteur.
À la Sorbonne, le ministre Luc Chatel a défini ses prochaines orientations : trouver de nouveaux outils pour mesurer la violence, former le personnel à la prévention et à la gestion de conflits, doubler les équipes mobiles de sécurité, développer le partenariat avec la Justice, optimiser les sanctions, et lancer un programme pour stabiliser les équipes dans les établissements les plus exposés. « Mais rien n’est envisagé pour qu’il y ait davantage d’adultes à l’école » , regrette la FCPE, qui s’inquiète aussi des « objectifs réels d’une remise à plat de l’éducation prioritaire dans une période de réduction drastique des moyens » . Au lycée Bouvet, la perception de la violence n’est pas la même selon qu’on est élève ou enseignant, qu’on vienne d’un collège de Romans ou de la campagne, ou qu’on habite la cité d’à côté. Ils sont 450 élèves pour deux assistants d’éducation à temps plein. Délinquance, racket, « cassos » (pour « cas sociaux »)…, listent des jeunes en première année de bac pro, dont un camarade est « en souffrance » . Quand la cloche sonne, trois d’entre eux viennent confier une expérience récente : quand leur classe a fait ses demandes de stages, seuls ceux qui avaient des noms « bien français » ont été acceptés dans les entreprises démarchées, dont EDF. Les autres ont été refusés « même quand ils avaient fait leur demande avant ! » , s’énervent les adolescents. Qui s’étonnent : « Ça compte comme une violence ? »

Société
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