Courrier des lecteurs 1102
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La vie sans papiers, avec RESF
En revenant du centre de loisirs où il est allé chercher son fils, le père de Daniel, 3 ans, s’arrête en double file pour acheter des cigarettes. À sa sortie du bureau de tabac, des policiers l’attendent. Comme il est sans papiers, il est embarqué avec son fils au commissariat de Juvisy (91). Enfermé dans une pièce vide avec son père menotté à une chaise, Daniel finit par être arraché à celui-ci, malgré ses cris et les protestations du papa. Terrorisé et en larmes, Daniel fait pipi dans sa culotte. Sa mère, qui travaille à une heure de transport du commissariat, est sommée par téléphone de venir chercher son fils dans les plus brefs délais, sinon, lui dit-on, il sera placé dans un foyer. Parant au plus pressé, elle prévient un cousin qui accourt et entend Daniel pleurer, mais ne peut le récupérer. Arrivant sur les lieux à 19 heures, elle reprend le petit, qui a passé 2 heures au commissariat et a vu son père humilié. Depuis, s’il a retrouvé son papa après une brève garde à vue, Daniel souffre de cauchemars et d’énurésie nocturne. La Convention internationale des droits de l’enfant stipule que nul enfant ne doit être privé arbitrairement de liberté. Mais la France a décidé que cela ne concernait pas les enfants de sans-papiers.
Cet État ne respecte pas la loi
_ Depuis de nombreux mois maintenant, dans l’agglomération stéphanoise, comme un peu partout en France, des demandeurs d’asile inscrits à la préfecture depuis leur arrivée à Saint-Étienne sont laissés à la rue, par familles entières, avec des bébés. Les services préfectoraux, qui ont l’obligation légale de loger ces familles, font le strict minimum, et encore sous la pression, laissant aux associations et aux citoyens le soin de mettre à l’abri ces personnes, de répondre aux urgences… Depuis quelques semaines, la situation dans notre agglomération est de plus en plus difficile, avec plusieurs familles sans solution de logement. Face à l’incurie de l’État, citoyens et associations font preuve de solidarité, mais cela ne peut durer bien longtemps.
La préfecture obéit bien évidemment aux orientations politiques et idéologiques du pouvoir en place, mais cela ne peut dispenser d’appliquer la loi et de respecter la parole de la France !
En signant les conventions de Genève sur le droit d’asile, la France s’est engagée à suivre quelques règles ; en particulier, tout demandeur d’asile doit être pris en charge par l’État pour son hébergement en attendant que sa situation ait été examinée.
Régulièrement, la préfecture et ses services invoquent le coût que représente l’hébergement des demandeurs d’asile pour justifier son incapacité à respecter la loi. Cela n’est qu’un prétexte.
Lorsqu’il s’agit de traquer, arrêter, mettre en centre de rétention et expulser des sans-papiers, la préfecture sait se donner les moyens. Ce n’est donc pas un problème d’argent mais bien un choix politique, idéologique.
L’État refuse de mettre de l’argent dans l’accueil des demandeurs d’asile dans l’espoir de décourager les candidats. Et tant pis pour les principes, pour les valeurs, pour la parole de la France. Et, surtout, tant pis pour toutes ces familles qui vivent aujourd’hui dans la rue, victimes du mépris et des choix politiques de ceux qui nous gouvernent.
Nous demandons que le préfet dégage des moyens pour loger ces familles, notamment en créant les places nécessaires dans les nombreux logements et bâtiments vacants de notre agglomération.
Par ailleurs, le samedi 12 juin, nous manifesterons et débattrons pour faire entrer dans les faits le droit au logement pour tous, ce qui est maintenant la loi.
Pierre Rachet, pour le collectif « Pour que personne ne dorme à la rue »
Je réagis à l’éditorial de Denis Sieffert dans le n° 1100 de Politis. Il ne faut pas se tromper de cible. Ce n’est pas parce que la programmation de la loi contre la burqa est mal planifiée, voire que ce sujet est utilisé stratégiquement pour détourner notre attention des problèmes sociaux, qu’il faut négliger cette question. […]
Il n’est plus temps de critiquer ce que les autres n’ont pas fait ou ont laissé faire, il faut aller de l’avant. On peut critiquer la manière dont ceux d’aujourd’hui font, mais là n’est pas le principal. Le principal est qu’il faut marquer un grand coup. Il faut montrer solennellement que la société française est contre, fondamentalement, cet enfermement de la femme, qu’elle s’oppose à cette discrimination.
Et, la France étant encore une démocratie, c’est bien par la loi que la société cadre ce qu’elle accepte ou refuse. J’aurais aimé de la part de votre journal, dont je suis une très fidèle lectrice depuis plus de quinze ans, moins de polémique sur la façon, et un article de fond sur comment accompagner cette loi et faire en sorte qu’elle change enfin les choses pour toutes ces femmes, et pour nos filles, qui, si nous n’y prenons garde, seront elles aussi contraintes de le porter dans vingt, cinquante ou cent ans. Pour ces femmes qui ne le portent que très récemment et pour nos filles qui ne le portent pas encore, soyons unis face aux islamistes, condamnons unanimement.
Pour ma part, je fais partie de ces femmes qui ont vu leur mère se battre pour notre libération et je lui en suis très reconnaissante. Par respect pour cette liberté gagnée (même s’il reste tant à faire), je ne céderai jamais, je ne le porterai jamais, ce foutu voile, ici ou ailleurs, quitte à finir en prison.
Christine Loup, Saint-Paul-et-Valmalle (34)
Les banlieues ont été les grandes absentes des élections régionales. Pourtant, pendant le précédent mandat régional, entre 2004 et 2010, deux crises politiques et sociales importantes se sont déroulées : les émeutes urbaines de novembre 2005 (avec une nouvelle secousse en novembre 2007 après la mort de deux jeunes lors d’un accident avec un véhicule de police), puis les manifestations anti-CPE de février à avril 2006. […] Les forces et partis politiques ont pourtant dû mettre leurs stratèges en action, leurs plus fins analystes. Et leur objectif – louable et partagé – étant de faire de bons scores, parler à des millions d’électrices et d’électeurs en leur parlant d’elles et d’eux-mêmes serait un minimum. […]
Pour revenir aux émeutes, rappelons juste qu’elles ont touché plus d’une centaine de communes en Île-de-France, et plus d’une centaine dans le reste de la France. Les assureurs ont évalué les dégâts à environ 200 millions d’euros. À la suite de ces incidents, les primes d’assurance des collectivités en ZUS ont grimpé, augmentant les dépenses pour ces villes.
Mais tout cela a généré dans l’imaginaire collectif moins d’écrits, de belles images ou de beaux textes de chansons et d’analyses que le beau mois de Mai 68. […]
Je vois quelques mesures qui changeraient radicalement la vie des banlieues et de leurs habitants.
D’abord, il faudrait favoriser l’engagement des citoyens sur les listes d’élus. Et, en premier lieu, aux élections municipales. […] On arrêterait ainsi de penser que les candidats (et donc les élus) sont des citoyens à part. Et on se mêlerait de nos affaires, avec nos mots, nos propositions, parfois contradictoires. On se réapproprierait le débat.
Ensuite, en urgence, il faut donner des perspectives d’emplois. […] Dans mon quartier, il n’existe pas de régie de quartier, ni de blanchisserie, de librairie, de poissonnerie.
Ensuite, construire des logements. Combien de familles vivent mal logées ou sans logement en Île-de-France ou ailleurs ? […]
Une priorité serait aussi de travailler au rapprochement entre habitants, notamment jeunes, et police et justice. Laisser cette situation de pourrissement latente est une bombe à retardement. […]
Une vraie rénovation du bâti et des espaces extérieurs est également nécessaire. L’état de délabrement avancé donne à ces quartiers un sentiment d’abandon. Les seuls investissements (quasiment) que l’on peut y voir sont des constructions de logements privés et des caméras de surveillance, des portes à code et des barrières joliment appelées « résidentialisation des espaces ».
Dans la même veine, avoir une politique ambitieuse en matière d’écologie urbaine dans des quartiers qui cumulent injustices sociales et environnementales est un enjeu réel. Ces quartiers sont traversés ou longés par des autoroutes provoquant une forte pollution, tout comme les incinérateurs de déchets, les usines d’assainissement et les lignes à très haute tension. Et les jardins familiaux, les économies d’énergie, les alternatives à la voiture individuelle, la nourriture issue de l’agriculture biologique ou du commerce équitable y sont encore trop rares. […]
Il faudrait aussi inciter les médias à travailler toute l’année sur ces territoires et mettre en avant d’autres intellectuels sur les banlieues qu’Alain Finkielkraut (avec ses propos lamentables dans le journal Haaretz au lendemain des émeutes de 2005) ou Hélène Carrère d’Encausse, inqualifiable dans Libération, toujours à cette époque. On les imagine d’ailleurs très bien avoir passé de longues heures d’observation au-delà du périphérique avant de s’exprimer sur ces sujets sérieux… Les Laurent Mucchielli, Sébastien Roché, Nicole Le Guennec, Michel Kokoreff ou Hugues Bazin sont plus utiles aux côtés des lieux culturels et des compagnies qui, à l’image de Black Blanc Beur ou d’Aktuel force ou de groupes comme NTM, 113 ou d’autres, irriguent les banlieues.
Enfin, pour inverser les tendances, certains d’entre nous lancent « Accueil banlieues » [^2] pour faire découvrir ces lieux aux touristes, de province ou étrangers, et montrer que, sans nier certaines réalités dures, il fait bon vivre dans ces banlieues fertiles.
Mathieu Glaymann, Épinay-sur-Seine (93)
[^2]: accueilbanlieues@voila.fr ou sur Facebook