Courrier des lecteurs 1103
dans l’hebdo N° 1103 Acheter ce numéro
La fin des idéologies est précisément l’idéologie du libéralisme. Celle dont il a besoin. Le no future est le temps sans lendemain, c’est le temps de la Bourse qui déjoue constamment les prévisions des prévisionnistes : le matin, winner ; le soir, loser.
Serge Fournier
Mineurs en lutte au Maroc
Voilà dix mois que 850 ouvriers des mines de l’Office chérifien des phosphates (OCP) de Khouribga, au Maroc, embauchés à l’été 2008 comme travailleurs temporaires et surexploités, ont été licenciés. Sans raison ? Si ! Ils ont osé vouloir se syndiquer à l’UMT, syndicat peu apprécié de la direction de l’OCP, toujours soutenu dans ses actes voyous par l’État marocain […].
850 ouvriers, ça représente combien d’hommes, de femmes et d’enfants, sachant que, au Maroc, chaque travailleur subvient aux besoins de son épouse, de ses enfants, souvent de ses parents, parfois même de ses oncles et de ses tantes ?
Dix mois qu’ils essaient de survivre, puisqu’il n’existe aucune aide de l’État, vendant peu à peu leurs biens pour essayer de nourrir leur famille. Dix mois que les mamans dépriment, impuissantes devant cette misère, dix mois que les enfants ne vont plus à l’école, et que meurent les plus faibles…
Dix mois que leur lutte ne faiblit pas : manifestations, sit-in, marches, rassemblements devant la direction de l’OCP, ou à Rabat devant le Parlement, même s’il faut vendre un des derniers meubles de la maison pour payer le voyage.
Dix mois qu’Ali Fkir, infatigable coordinateur du Comité de solidarité avec les ouvriers de SMESI (filiale de l’OCP), rend compte de cette lutte sur Internet, jour après jour, voire heure après heure. Et dix mois que la police intervient brutalement à chaque rassemblement pourtant pacifique, qui se termine toujours par l’évacuation de blessés à l’hôpital, parfois dans un état grave. Le 22 avril, lors d’une marche de 3 000 personnes, l’intervention des forces de l’ordre a provoqué une véritable bataille rangée : 18 personnes ont été hospitalisées, 15 personnes, dont 2 sympathisants, ont été écrouées. Leur procès devait avoir lieu le lundi 3 mai. Ils risquaient la prison ferme.
Des témoignages de soutien sont arrivés du monde syndical et politique, et de la presse du Maroc (l’AMDH, l’UMT, la Voie démocratique, l’Insad…), de France (le NPA, le PC, l’Humanité, la CNT, Internationaliste 13…) et d’Espagne (CNT, CGT…). D’autres messages de soutien peuvent être envoyés à alifkir@yahoo.fr
Marie-Jo Fressard, Solidarité Maroc 05
Les dangereux boutefeux
Les « gardiens de la paix » que sont policiers et gendarmes le savent : un « traitement » de la criminalité fondé uniquement sur des mesures policières, « sécuritaires », ne peut et ne pourra jamais suffire à diminuer et à contrôler les dérives délinquantes. Ce n’est pas seulement une posture intellectuelle que de l’affirmer. Les travaux de nombre de chercheurs en sciences sociales, tous pays confondus, le confirment (voir, chez nous, les écrits et interventions de Laurent Mucchielli, sociologue, chercheur au CNRS). […]
Une fois encore, alors que la fameuse cote de popularité est de plus en plus mal taillée pour l’actuel président de la République (celle-ci mérite-t-elle encore cette majuscule ?), voici que refleurit l’antienne sécuritaire : « (Re)venez à moi, électeurs apeurés, vous qui vous êtes abstenus ou avez déserté les urnes. »
On pourrait en rire tellement est grosse la ficelle, tellement elle était prévisible, tellement elle vient invalider l’action entreprise par celui qui, étant passé de l’Intérieur à la tête de l’État, s’en fait le chevalier blanc. On pourrait en rire si la provocation qu’elle recouvre, le peu de recul pris lors du traitement médiatique du premier incident venu n’étaient des détonateurs potentiels. On pourrait en sourire si cette posture idéologique du défi et du mépris ne se confondait avec la tentative de criminaliser la différence culturelle.
Le fumeux débat identitaire national ayant fait chou blanc, la politique du charter ayant ses limites, il convient absolument d’alimenter encore et toujours les mécanismes de la peur et du retrait identitaire. Trouver un « ennemi de l’intérieur », nourrir le repli sur soi, au risque d’alimenter les reculs communautaires. Avoir deux fers au feu : les « jeunes des quartiers » et les « islamistes polygames »…
La crise financière qui touche les plus fragiles est venue discréditer le discours libéral. La position arc-boutée des grands de la finance ridiculise les rodomontades régulatrices des petits chefs d’État.
Il reste donc une seule issue pour espérer être réélu dans deux ans : rameuter la peur, fabriquer et alimenter l’illusion d’un danger immédiat, noyer toute réflexion sous le rouleau compresseur des annonces, déplacements, promesses, provocations. On ne saurait tomber dans le piège qui nous est tendu, consistant à faire du mépris et de la haine des armes électorales. On ne saurait, si l’on défend des valeurs républicaines, prendre de telles postures. Mais, à l’heure des commémorations, il est important, au-delà des faits, de relire les discours qui ont permis pendant des décennies que soit mise en place la politique de déportation. On peut y retrouver les mêmes relents de populisme nationaliste et de rejet implicite de l’« autre ». La « menace bolchevique » et le « complot judéo-maçonnique » ont fait leur temps, d’autres figures prennent leurs places.
Il y a, pour ceux qui prétendent incarner une alternance crédible à ce pouvoir, urgence à produire en ce domaine un discours fort de rupture. Il faudra une offre claire, engagée, sans démagogie et profondément républicaine pour revenir sur le travail de sape mené depuis des décennies sur le plan de la démocratie. Il faudra des engagements courageux pour prendre les moyens de cette rupture-là où ils sont. Rompre avec l’entre-deux qui a fait le lit de la politique actuelle.
Mais, en attendant, il est nécessaire de dénoncer le danger que représentent pour notre société de telles pratiques électoralistes. Que tous ceux qui estiment qu’une véritable citoyenneté est encore possible refusent l’amalgame, la soumission au « court-termisme » médiatique, le silence.
Henri Clavé, Limoges (87)
Mademoiselle sème l’amour, le nouvel ouvrage de Victoria Thérame, dont Hosto-Blues avait fait un tabac à sa parution (éditions des Femmes), est un roman épistolaire.
On parle trop peu de cette auteure. Que ce soient ses pièces de théâtre (comme l’Escalier du bonheur , jouée par la formidable Odette Simonneau), ses poésies ou nouvelles, ses romans ( Trans-Viscère-Express, la Dame au bidule, Sperm-river ou Bastienne ), son œuvre est d’une infinie richesse, on y retrouve la fraternité et l’humanité qui font que nos sociétés restent quelque peu vivables. Son féminisme est bien plus social qu’individualiste, et c’est très bien ainsi.
Dans cet opus, paru aux éditions Wallada, nous sommes entraînés dans une aventure toujours plus rocambolesque, mais recherchée par Brigitte, l’héroïne […].
Le bottin, une adresse effacée, mais qu’elle arrive à déchiffrer, ce nom qui lui trotte dans la tête, et la voilà qui griffonne une lettre pour ce monsieur… C’est le début d’une épidémie qui lui fera éplucher les pages de l’annuaire pour écrire des lettres à des inconnus, messages qui deviennent très rapidement des clins d’œil érotiques : elle se raconte des histoires coquines, leur rappelle des ébats qui n’ont jamais eu lieu, et nous emporte dans un maelström époustouflant, où sa gentillesse et son humanisme excusent tous les écarts de langage ou de bienséance ! […] Léger et profond à la fois, ce court roman se lit d’une traite : vous en sortirez revigorés. Il interpelle aussi bien la gent masculine que féminine ; ainsi, chacun et chacune y retrouvera ses fantasmes, sa réalité ou ses espoirs, au détour d’une de ses épistolaires et idéelles histoires d’amour. La vérité peut se cacher où on ne l’attend pas !
Serge Moulis (Betton)