Crise européenne : deux tabous sont tombés
dans l’hebdo N° 1102 Acheter ce numéro
Les attaques spéculatives, jusqu’alors orientées contre la Grèce, se sont étendues à l’Espagne et au Portugal, dont la note a été dégradée par les agences de?notation. Le tour de l’Italie et de l’Irlande pourrait bientôt venir. Or, l’Espagne comptait, avec l’Irlande, parmi les meilleurs élèves en matière de discipline budgétaire avant la crise. Ces pays sont, depuis, ceux où la conjoncture et les comptes publics se sont le plus dégradés. S’appuyant sur les circonstances exceptionnelles mentionnées dans l’article 122-2 du traité de Lisbonne, le Conseil européen, la Commission et la BCE ont enfin transgressé deux tabous dans le traitement de ces attaques spéculatives.
En premier lieu, ils ont enfin mis en œuvre des modes alternatifs de financement des dettes souveraines, qui permettent de soustraire les États à la pression des marchés sur lesquels ils se financent. Le Conseil a enfin autorisé la BCE, au mépris de ses statuts, à racheter une partie de la dette à taux quasi-nuls, comme le fit la FED américaine il y a un an, à hauteur de 300 milliards de dollars, lorsque les taux sur les bons du trésor américains commençaient à se tendre.
En deuxième lieu, en créant un fonds d’assistance garanti par les États, ils ont enfin autorisé le financement par l’emprunt de la solidarité européenne, là où les textes interdisaient jusqu’alors de financer par l’emprunt les dépenses communautaires pour traiter les « chocs asymétriques ».
Ces deux événements créent un précédent et dotent la zone euro de nouveaux instruments de gouvernance économique. Pour autant, les institutions européennes et le FMI persévèrent dans l’erreur en exigeant l’application de plans de rigueur drastiques, requis en contrepartie des aides. Alors que la reprise reste fragile, les politiques d’austérité, trompeusement appelées « politiques de sortie », imposées dans tous les pays européens, la tueront dans l’œuf. Le défaut d’activité amenuisera les recettes fiscales. Les déficits se creuseront, malgré les coupes budgétaires et les « réformes » des retraites, attisant à nouveau la spéculation des marchés contre un nombre croissant d’États membres.
Les institutions européennes auraient au contraire dû décréter la suspension du pacte de stabilité, restructurer la dette grecque et donner le signal aux marchés que l’heure est à la poursuite des mesures de soutien à l’économie, mais en aucun cas à des plans de rigueur dont les objectifs ne seront atteints par aucun des États membres dans les horizons courts qui leur sont fixés.
À ces erreurs viennent s’ajouter les risques que fait toujours peser la stratégie de déflation allemande sur la stabilité de la zone euro. Cette stabilité est d’autant plus fragile que la zone euro est composée de pays dont les niveaux de développement sont différents. Le problème aurait été résolu si l’on avait fait avec les pays du Sud ce que l’Allemagne de l’Ouest a réalisé avec l’Allemagne de l’Est lors de la réunification, à l’aide d’un financement budgétaire massif. Or, l’Allemagne d’Angela Merkel a longtemps traîné les pieds avant d’entériner la monétisation des dettes publiques par la BCE (contraire aux principes de la Bundesbank) et la création du fonds d’assistance (synonyme de pas en avant vers le fédéralisme budgétaire).
De plus, l’Union européenne souffre encore d’un budget communautaire ridicule, obérant le développement à grande échelle des fonds structurels, et d’un pacte de stabilité encadrant strictement la dépense publique nationale. Dans ces conditions, les pays dont le commerce extérieur est déficitaire, placés dans l’impossibilité de dévaluer, sont condamnés à la déflation salariale pour résister. Le jeu sera, au final, à somme nulle car le dumping social généralisé ne profitera qu’aux pays initialement excédentaires, et en premier lieu à l’Allemagne. La déflation salariale généralisée aura cassé la demande intérieure européenne. La conjoncture morose perdurera, d’autant que les exportations restent plombées par la faiblesse de la reprise américaine. On voit donc mal comment les « politiques de sortie » parviendront à relancer l’activité de la zone euro, et donc à réduire les déficits.