D’autres choix possibles pour financer les retraites
Quatre spécialistes des retraites analysent les propositions du gouvernement et du Parti socialiste. Et livrent leurs propres pistes pour un financement du système par répartition.
dans l’hebdo N° 1104 Acheter ce numéro
Le gouvernement exclut d’augmenter les cotisations sociales pour financer le système des retraites. Si on n’augmente pas ces cotisations, cela signifie que les retraités et les salariés vont payer les ajustements futurs du système de retraite, et que les seconds vont inévitablement devoir travailler plus longtemps. Refuser d’envisager l’augmentation des cotisations sociales est un choix politique et idéologique, et nous refusons ce choix.
Par ailleurs, les propositions du PS ne sont pas claires. D’un côté, il n’exclut pas d’allonger la durée de cotisation après 2025 et ne remet pas en cause l’allongement déjà programmé. De l’autre, il propose des sources nouvelles de financement, mais qui visiblement ne sont pas à la hauteur du problème puisque le PS propose toujours d’allonger cette durée de cotisation. On évoque souvent l’élargissement de l’assiette dans ce dossier. Mais c’est une discussion secondaire. Le problème est de savoir si, aujourd’hui, on accepte de remettre en cause le partage de la valeur ajoutée. Les salaires baissent dans la part de la valeur ajoutée d’environ neuf points depuis une trentaine d’années. Il faut diminuer les profits des entreprises et notamment les dividendes.
Il est tout à fait possible de financer les retraites avec le système actuel de cotisations sociales. Dans le scénario le plus pessimiste, le Conseil d’orientation des retraites montre qu’il faudrait, à l’horizon 2050, augmenter de 10,4 points les cotisations sociales pour financer l’ensemble du système de retraite. Cela représente une augmentation de 0,26 point par an des cotisations. C’est dérisoire. Il est tout à fait possible d’augmenter les cotisations sociales (notamment la part patronale) en diminuant les dividendes versés aux actionnaires. Enfin, prétendre, comme le gouvernement, qu’une hausse des cotisations ferait perdre des emplois est fallacieux. On ne toucherait absolument pas à la compétitivité des entreprises puisqu’on ne toucherait pas à l’investissement productif dans ce schéma.
Pierre Khalfa
Les deux enjeux de la réforme des retraites sont le problème de la pérennité du régime, lié à la démographie, qui crée un déficit, et la question du système que l’on construit pour les actifs d’aujourd’hui. Les travaux du COR ont bien montré les efforts à produire. Ils sont de plus de 70 milliards d’euros pour 2030 avec la fin du départ en retraite de la génération du « baby-boom ». Les leviers de l’augmentation de l’âge de départ à la retraite et de la durée de cotisation correspondent à la moitié des besoins de financement. Il en manque donc la moitié. Il reste à trouver 35 milliards d’euros de recettes par an. Ce sont forcément des prélèvements nouveaux à trouver quelle qu’en soit la forme, que ce soit l’augmentation des cotisations patronales et salariales, la TVA, la CSG, qui font baisser la croissance. Le gouvernement est en train d’évoluer légèrement sur ce volet, mais de façon très floue et très modeste. Il faudra augmenter les cotisations salariales, mais il n’y a pas beaucoup de marges de manœuvre. J’explique aussi aux salariés qu’il faudra un jour cotiser plus si on veut construire une retraite supplémentaire importante. S’il y a d’autres efforts qui sont faits sur la durée de cotisation, je pense que les employeurs peuvent bouger aussi un peu sur les charges patronales. Mais on sait bien que les effets de la crise rendent difficiles la mise en place de cette mesure.
Un élargissement de l’assiette des prélèvements est donc à prévoir. L’augmentation de la TVA et celle de la CSG sont les deux principales sources possibles de financement que je préconise. Il y a aussi toute la gamme des prélèvements sur les revenus du capital, comme les revenus financiers, qui peuvent être mis à contribution. Les exonérations de charges patronales représentent plus de 30 milliards d’euros. On pourrait pour le moins remettre en cause une partie de ces exonérations. Mais, en tout cas, si on ne trouve pas de recettes tout de suite, on pénalise les retraites de façon importante.
Il faut donc combiner les mesures démographiques de report de l’âge de la retraite, qui combleront les besoins en 2025, et de nouvelles recettes pour répondre à l’urgence du financement de nos retraites qui, actuellement, se fait sur la dette publique qu’on laisse aux plus jeunes. Il est urgent de ne pas laisser le déficit public aux jeunes et de leur construire une solution pour leurs futures retraites. Sinon, nous allons baisser le niveau des retraites. Celui-ci a très fortement diminué dans le privé. Il est donc indispensable de créer un « bouclier retraite » qui permettra de garantir un revenu minimum pour les retraités.
Danièle Karniewicz
Dans le document du Conseil d’orientation des retraites, on voit clairement qu’en jouant sur les seuls leviers de l’augmentation de l’âge effectif de départ à la retraite et de la durée de cotisation, on ne parvient pas à trouver les ressources nécessaires pour financer le système. Le problème principal est celui de l’emploi et de la masse salariale. Il ne faut pas oublier que la retraite est un élément construit sur le salaire. Une politique favorable à l’emploi et aux salaires permettrait une augmentation des cotisations sociales. Une augmentation de 1 % de la masse salariale, c’est 4,1 milliards d’euros en plus pour la Caisse nationale d’assurance-vieillesse. Ce qui est tout à fait envisageable.
On peut aussi envisager d’augmenter les cotisations. Il faudrait 6 points de PIB pour équilibrer nos régimes des retraites à l’horizon 2040. Ce qui se traduit, en ne faisant qu’augmenter les cotisations, par une hausse des cotisations de 0,375 point par an. Une part des augmentations de salaires pourrait financer cette augmentation. En ce qui concerne l’élargissement de l’assiette, on peut prendre en compte les revenus du travail qui échappent totalement à la solidarité comme l’intéressement, la participation ou les stock-options. La Cour des comptes a mis en avant qu’il y a entre 11 et 13 milliards d’euros de niches fiscales qui échappent au financement de nos régimes de protection sociale.
Pour nous, ce qui est fondamental, c’est la question de la répartition de la valeur ajoutée, qui se fait au détriment des salaires et au profit des dividendes. Il nous semble qu’il faut taxer cette part du capital dans l’objectif de rééquilibrer le partage entre salaire et profit. Tout ça doit être fait dans le cadre d’une réforme globale de la fiscalité et des prélèvements en France. Enfin, dans le cas de la proposition du Parti socialiste, la question des 40 annuités de cotisation ne se pose pas de la même façon. Il s’agit d’augmenter les annuités de cotisation nécessaires pour la retraite à taux plein en prenant en compte les années d’études, de formation et de recherche d’emploi. Toute la difficulté est de savoir comment on calcule ces annuités.
Didier Horus
Nous ne nions pas le problème démographique mais, contrairement au gouvernement, qui veut augmenter la durée au travail, nous pensons que le véritable problème du régime des retraites est son financement. Il faut donc trouver de nouvelles ressources qui garantissent le financement et l’équilibre des régimes à moyen et long termes. Il est possible d’augmenter la cotisation sociale de l’employeur. Mais, avant cela, nous pensons qu’il y a d’autres moyens d’augmenter les ressources, notamment en élargissant l’assiette des cotisations à l’intéressement, à la participation et au bonus. Un rapport de la Cour des comptes de 2009 pointe un manque à gagner de 3 milliards pour nos retraites.
Les contributions des revenus des entreprises peuvent être aussi une source de financement. Cette assiette tourne autour de 250 milliards d’euros. Si les revenus des entreprises sont soumis au même traitement que ceux des ouvriers, on fait entrer 20 milliards d’euros dans nos caisses. Nous proposons aussi de moduler les cotisations salariales par le rapport de la masse salariale sur la valeur ajoutée. Aujourd’hui, moins on a de salaires dans l’entreprise, moins on paie de cotisations sociales. Nous pensons qu’il y a une injustice, d’autant plus qu’un artisan paie des cotisations salariales selon le même principe que les grandes entreprises.
Enfin, nous demandons la fin des exonérations sociales, qui coûtent 30 milliards d’euros sans impact sur la création d’emploi. Nous sommes attachés au financement de la protection sociale par le travail. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas pour l’augmentation de la CSG ou des impôts. En revanche, nous pensons que les revenus financiers des entreprises peuvent participer à la solidarité nationale et financer notre régime de répartition solidaire. Il est important qu’une part des dividendes soit orientée vers le financement des retraites.
Éric Aubin