François Morel : « Non, je ne suis pas un gentil ! »
Formé à l’école des Deschiens, complice de Yolande Moreau, François Morel s’est imposé sur scène comme à l’écran.
Dans ses chansons et ses chroniques de radio, il cultive l’anticonformisme, le décalage et l’ironie.
Et dégaine une langue acerbe quand il s’agit d’éreinter les pouvoirs indus.
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Politis : Vous écrivez, vous interprétez. La chanteuse Juliette signe la mise en scène de votre spectacle. Comment est née cette association ?
François Morel : Grâce à Yolande Moreau, en 1995, quand on jouait les Pieds dans l’eau à Avignon. Juliette chantait tout près de notre spectacle. Elles se connaissaient déjà très bien. Juliette savait que j’adorais la chanson. J’ai plus tard rédigé un dossier de presse pour l’un de ses albums, puis chanté en duo avec elle, Mémère dans les orties , à l’Olympia et au Rex. Elle a écrit quelques chansons pour mon premier spectacle, Collection particulière , mis en scène par Jean-Michel Ribes. Pour celui-ci, j’avais envie d’être épaulé par elle, dont les spectacles sont très bien mis en scène, dont j’apprécie aussi le jeu avec ses musiciens. Le Soir, des lions revêt ainsi des tonalités cinématographiques, entre le décor, les couleurs, les costumes et les lumières. J’avais envie d’aller vers la chanson, et elle vers le théâtre, la mise en scène. L’association s’est faite naturellement.
Ces chansons sont autant à écouter qu’à voir comme de petites pièces de théâtre…
Sans doute, même si je ne l’ai pas cherché. En tout cas, c’est comme ça que ça marche. Mais il n’a pas été facile d’enchaîner une chanson sur les profanations avec une autre, plus légère, plus déconnante, les pieds dans une bassine. Finalement, cela se vit comme dix-huit pièces de théâtre différentes, les unes après les autres. C’est au spectateur de faire lien. C’est aussi l’intérêt du récital, plus riche qu’une pièce de théâtre où l’on ne joue qu’un seul rôle. C’est un sentiment différent, avec des tons différents.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Ce n’est pas très défini. Parfois, c’est juste le plaisir d’écrire une chanson. « C’est pas que j’t’aime pour ton cul » me paraît, par exemple, un excellent début de chanson qu’il m’intéresse de poursuivre. À une autre occasion, c’est un môme qui s’adresse à une assistante sociale, se juge comme un « cas sociau », la nuit sur son vélo, et brûle des autos. J’essaie de trouver alors un couplet qui rime avec. C’est assez rigolo, le côté plaintif de certaines gens qui se trouvent des bonnes raisons pour faire des conneries. Mais j’aime bien que ça aille ailleurs, sinon c’est très réac comme propos. Et, du coup, je me dis que ce serait pas mal de penser au « cas sociau » qui est aujourd’hui à l’Élysée. Cela en fait alors une chanson cohérente, qui exprime des choses avec lesquelles je suis d’accord. L’inspiration vient aussi parfois de la lecture des journaux. J’essaye toujours de trouver un angle, comme pour les chroniques. Ce n’est pas que ce que j’ai à dire est forcément intéressant, mais à chaque fois je cherche l’endroit que personne n’a encore fouillé pour éclairer le propos d’une façon différente, originale. Pour les profanations, sur lesquelles on est tous d’accord, il me semblait intéressant de prendre le point de vue du profané, qui est lassé, fatigué parce que ça recommence.
Le théâtre, la chanson, le cinéma, le clip télé, si l’on songe à « Monsieur Morel » sur Canal +, entre 1993 et 2000. Peut-on parler de touche-à-tout, à la manière de Vian ?
Je le suis sans doute moins que Boris Vian, qui, en plus, était musicien. J’écris et je joue, ce n’est pas si compliqué. Je suis un acteur de variété. Et heureusement qu’on ne fait pas toujours tout sur le même ton. Quel que soit le support, il existe une cohérence dans tout cela. On peut très bien imaginer que celui qui écrit des chroniques est aussi celui qui écrit ces chansons-là.
Le style François Morel semble l’addition d’études littéraires, de l’école de théâtre de la rue Blanche, de la troupe emmenée par Deschamps et Makeïeff…
À 50 ans aujourd’hui, c’est naturellement l’addition, l’accumulation de toutes mes expériences. Sur scène, ma fantaisie s’exprime telle qu’elle a toujours été. De la rue Blanche à Jérôme Deschamps, en passant par les Dégourdis de la 11e , un vaudeville militaire de Mouezy-Eon et Daveillant, avec Darry Cowl et Robert Hirsch, au théâtre des Variétés !
Comment passe-t-on de l’écriture scénique ou de la chanson à la chronique radio ?
C’est autre chose et en même temps semblable, dès lors qu’il y a un public. Être seul en studio m’est difficile. Je ne suis pas exigeant. Un public de quatre ou cinq spectateurs que j’arrive à faire rire me comble. Quand j’ai Nicolas Demorand dans l’œil qui s’amuse de ce que je raconte, je suis ravi. L’autre constance est celle du verbe. J’adore ça.
Vos chroniques ne sont pas à proprement parler politiques. Elles ne sont pas frontales. Elles n’en restent pas moins politisées ?
Je ne déteste pas une certaine forme d’ambiguïté, qui je trouve marche bien avec l’idée que j’ai de l’humour. C’est-à-dire qu’on ne sache pas exactement, quand je commence une chronique, sur Éric Besson ou Nicolas Sarkozy, comment je vais la terminer. Que cela trouble l’auditeur. Cela dit, il est vrai qu’il y a parfois un malentendu sur mon travail. Les gens ont l’impression que je suis un gentil, alors que certaines chroniques ont un fond d’une grande violence. C’était le cas dans la chronique imaginant Éric Besson en juin 2040, dans sa maison de retraite, seul, abandonné, n’ayant rien à raconter à ses petits-enfants parce qu’il a été une merde, regardant Drucker à la télé qui demande à son invité, Jean Sarkozy : « Vous aimez les chiens ? » Il s’agit surtout d’être toujours inattaquable dans le sous-texte, de pouvoir garder sa liberté tout en exprimant ses dégoûts, ses colères, ses révoltes. J’aime bien désarmer l’adversaire.