Injuste justice
La Ligue des droits de l’homme montre une institution judiciaire de plus en plus inégalitaire.
dans l’hebdo N° 1102 Acheter ce numéro
Les riches d’un côté, les pauvres de l’autre. Et, au milieu, un fossé que la réforme pénale s’apprête à creuser davantage. C’est une justice de plus en plus inégalitaire que dépeint la Justice bafouée, l’état des droits de l’homme en France, un ouvrage publié par la Ligue des droits de l’homme (LDH) en collaboration avec différents acteurs du monde judiciaire. « On n’est pas loin du bouclier pénal », affirmait le 13 avril Jean-Pierre Dubois, président de la LDH, en présentant cette synthèse annuelle des analyses de l’organisation, après Une société de surveillance, paru en 2009.
Dans un chapitre intitulé « La justice des pauvres », l’avocat Denys Robillard explique de quelle manière la justice s’éloigne des justiciables. Financièrement d’abord, puisque le budget de l’aide juridictionnelle, qui permet à chaque citoyen dont le revenu mensuel est inférieur à 1 000 euros de bénéficier d’un avocat, ne cesse de diminuer : 275 millions en 2009 contre 327 millions en 2008. Structurellement ensuite, puisque l’organisation même de la justice en France induit des traitements inégalitaires. Dernière preuve en date : la suppression de 178 tribunaux d’instance entraînée par la réforme de la carte judiciaire de 2008. En effet, si le tribunal d’instance « n’a pas vocation à traiter la pauvreté, les contentieux qu’il traite concernent de façon importante les pauvres », indique Denys Robillard.
C’est cette même réforme de la carte judiciaire que remet en cause la magistrate Évelyne Sire-Marin dans le chapitre « Justice et conflits sociaux », car elle a également supprimé soixante-trois conseils des prud’hommes. La responsabilité en incombe au Medef, qui estimait le patronat « insécurisé juridiquement » au motif que, « dans les trois quarts des affaires, le salarié obtient satisfaction » devant les prud’hommes et voit son licenciement pour faute requalifié en licenciement abusif.
Tandis que cette efficace protection salariale risque d’être mise à mal, le patronat est en passe de voir la prochaine réforme pénale dépénaliser l’économie et la finance, notamment grâce au raccourcissement du délai de prescription des abus de biens sociaux. Si le parquet estime qu’un préjudice inférieur à 70 000 euros « ne mérite pas de poursuites pénales », bon nombre d’affaires financières sont classées sans suite. Cependant que les salariés qui séquestrent leur patron encourent, pour leur part, cinq ans de prison. Comment en vient-on à un si flagrant décalage ?