Je suis gay, ça te pose un problème ?

Parce que l’homophobie est encore dominante dans les lycées, la Fidl a lancé une campagne pour démonter les préjugés et briser les tabous. Elle appelle les pouvoirs publics à prendre le relais.

Ingrid Merckx  • 27 mai 2010 abonné·es
Je suis gay, ça te pose un problème ?
© PHOTO : DUFOUR/AFP

Sur l’affiche, ils sont quatre. Black-Blanc-Beur. Sur leur torse nu, des bouquets d’inscriptions comme : « Bouddhiste-Fêtard-Bisexuel-Breton… » ; « Féministe-Hétéro-Laïque-Doux… » ; « Littéraire-Spontanée-Lesbienne-Métisse… » ; « Rebeu-Homo-Musulman-Ch’ti… ». Ils ont les mains sur les hanches et le regard droit. Le titre : « L’homosexualité n’est pas un problème, l’homophobie en est un. » De quoi déclencher des réactions violentes : « Homo et musulman sur la poitrine, ça ne plaît pas à tout le monde » , souligne Toufike. Nouveau président de la Fidl, le syndicat lycéen à l’initiative de cette campagne contre l’homophobie, il fait partie des quatre modèles. « J’ai décidé de poser pour montrer que la religion n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle. » Lors des actions organisées devant les lycées pour accompagner la campagne lancée le 17 avril, un mois tout juste avant la Journée internationale contre l’homophobie, il a récolté insultes et menaces. « On m’a jeté : “Dieu t’aura pas oublié !” » Maxime, également sur l’affiche, a reçu quant à lui des jets de tournevis. « Dans les lycées, l’homophobie est la norme ! », s’insurge Charlotte, coordinatrice nationale de la Fidl. Cette réalité leur a sauté au visage lors d’un congrès organisé les 27 et 28 mars à Lyon avec 500 lycéens. Au cours d’un débat sur l’homosexualité, certains se sont déclarés homophobes devant l’assistance en criant : « Les pédés, faut les brûler ! Ça devrait pas exister puisque Dieu l’interdit. »

« Le pire, commente Charlotte, c’est que les propos homophobes sont souvent tenus par ceux qui se disent antiracistes, comment est-ce possible ? » La religion est très présente dans les esprits, les lycéens répétant ce qu’ils pensent être des préceptes religieux, « alors que, bien souvent, ils l’ont juste entendu chez eux » , ­souffle Toufike, pour qui le problème numéro 1 reste l’éducation, du lycée Henri-IV (Paris Ve) à la ZEP d’Aubervilliers. « Quel que soit le milieu social, ce sont les homophobes qui ont la parole dans les bahuts, ce sont les leaders d’opinion », relève Charlotte. Du coup, les homos se taisent ou se cachent. D’après SOS ­homo­phobie, qui a ouvert le 21 mai un site dédié aux ados, pour « en parler », il y a ­quatre fois plus de tentatives de suicide chez les jeunes gays que chez les autres.

La Fidl a lancé sa campagne en deux temps trois mouvements. Saisie par l’urgence. Une annonce au « Grand Journal » (Canal +), et le reste a suivi. « 36 000 affiches, 200 000 flyers, 100 000 cartes postales, 10 000 brochures, énumère Charlotte, et des quantités d’autocollants, on n’en a même plus… » Pas le temps de monter un plan de financement. « On a fait avec les moyens du bord, sauf les affiches, payées par Pierre Bergé. » C’est la première grande campagne lancée sur ce thème par des lycéens. « Ça fait partie de notre combat syndical » , estime la Fidl, un peu dépassée par l’ampleur de la tâche, dont l’analyse d’un sondage mené auprès des lycéens. 6 539 réponses ont été répertoriées. À la question : ­« Trouves-tu choquant que deux hommes ou deux femmes s’embrassent devant toi ? » , 745 ont répondu « moyennement choquant » et 375 « tout à fait choquant » . À la question : ­ ­ « Penses-tu que “sale ­bougnoule” est plus choquant que “sale PD” ? » , 344 ont répondu : « “Sale bougnoule” est une insulte beaucoup plus grave » , et 249 : « Ce ne sont pas des insultes. » « Attention, ceux qui ont fait la démarche de répondre font partie des sensibilisés » , prévient Charlotte.

Témoignage de Guillaume, 16 ans, sur le blog créé pour l’occasion : « On m’attendait souvent dans le quartier. Je commençais à avoir peur […]. Puis les choses ont empiré : les autres ont appris que je sortais avec un gars de ma classe. […] On menaçait de nous “niquer nos races”, et on venait en bas de chez moi guetter mon retour. […] Finalement, les gens se sont lâchés : on a lancé des compas sur mon copain, puis le soir même il s’est fait tabasser […], le lendemain, c’est moi qui fus tabassé. »

La campagne a été pensée en trois étapes : réaliser le sondage, interpeller les pouvoirs publics, puis organiser des Assises nationales contre l’homophobie cet automne. Le 17 mai, après publication des résultats du sondage, la Fidl a adressé au ministre de l’Éducation un appel en quatre points : intégrer la lutte contre l’homophobie dans les programmes, organiser une semaine obligatoire contre l’homophobie dans les établissements, recruter un psychologue et une infirmière scolaires à temps plein par établissement, et former les personnels afin qu’ils puissent détecter les situations d’exclusion. Rien d’extravagant. Mais Luc Chatel aurait répondu qu’il s’en tiendrait à l’existant, en évoquant le numéro azur « Homo, bi, hétéro ? 0 810 20 30 40 ». « Ce numéro fonctionne peu car il est très cher, surtout depuis un portable » , objecte la coordinatrice de la Fidl. « Les jeunes concernés ont besoin d’une ligne anonyme et gratuite », poursuit Kevin, trésorier du syndicat. Autre argument du ministre : il existe déjà une semaine contre les discriminations. « Mais l’homophobie s’y trouve noyée ! », rétorque la Fidl. Dans les programmes scolaires, c’est le néant. « Il y a un certain déni, estime Charlotte. De la part du ministère, mais aussi des proviseurs sur ce qui se passe dans leurs propres établissements. » « J’ai connu un CPE qui séparait un couple homo au nom de la “décence”, mais ne séparait pas les couples hétéros » , raconte Maxime. Le syndicat enseignant FSU a signé cet appel, pas la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), mais elle relaie la campagne. Les médecins et infirmiers scolaires sont les plus mobilisés. Parmi les signataires, on trouve des élus, dont quelques-uns de droite, des stars comme MC Solar ou Michael Youn… Le parrain sur le terrain, c’est Monis, « rappeur différent » qui a mis en musique avec Léa Milh une chanson, « À nos actes manqués », où une jeune fille parle à son frère tué par balle parce qu’il aimait un homme. La campagne accompagne sa tournée. Chaque lycéen est invité à la relayer. Cet été, la Fidl envisage des opérations dans les campings et sur les plages.

À la question : « Sais-tu que l’homophobie est punie par la loi ? », 1 012 lycéens ont répondu non. « Mais comment porter plainte pour homophobie ? Ce qu’on veut, c’est surtout démonter les idées fausses », fait valoir la Fidl. Ce qui passe essentiellement par des débats, souvent dans la rue, et souvent violents. « La Fidl n’y arrivera pas seule ! », affirme Charlotte. En attendant des relais institutionnels et financiers, des brochures circulent. « Être homosexuel n’est ni un choix ni une caractéristique génétique. Dans un couple homo, il n’y en a pas un qui “joue” la femme et l’autre l’homme, chaque couple invente sa propre relation, qu’il soit homo, bi, ou hétéro. Les enfants issus de familles homoparentales n’ont pas de problèmes d’équilibre psychologique ou d’identité sexuelle. Le communautarisme homosexuel est le produit d’une société qui renvoie une image négative de l’homosexualité… » À faire passer au-delà des grilles des lycées.

Société
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