« Le plan grec sert d’épouvantail »
Membre fondateur d’Attac Grèce, Athanase Contargyris* conteste l’adoption du plan d’austérité remanié par l’Union européenne. Il explique ici pourquoi ses dispositions aggraveront les inégalités.
dans l’hebdo N° 1102 Acheter ce numéro
POLITIS : Que pensez-vous des récentes annonces autour de la stabilité financière ?
Athanase Contargyris : Elles reconnaissent la nécessité de juguler la spéculation financière contre l’euro et les dettes souveraines des États, et on ne peut que se réjouir de voir les gouvernements européens prendre des mesures pour dissuader les spéculateurs de déstabiliser des gouvernements et des pays, comme ils l’ont fait avec la Grèce. Cela aurait dû être fait bien avant. On ne peut qu’espérer que ce ne soit pas trop tard et que ces annonces seront efficaces.
En revanche, cela ne devrait pas changer sensiblement la situation grecque. Les principaux bénéficiaires sont les banques françaises et allemandes, qui détiennent la majorité des dettes des pays que la poursuite de la spéculation menaçait le plus. Par ailleurs, la rigueur excessive du plan grec s’explique encore mieux, dans ce nouveau contexte : il sert d’épouvantail pour inciter notamment l’Espagne, le Portugal et l’Italie, voire la France, à s’engager dans des politiques de rigueur et de régression sociale pour éviter un « plan à la grecque ».
Le plan d’austérité changera-t-il cette situation ?
Face à la situation, nul ne doute de la nécessité d’un plan d’austérité. Mais le plan actuel, le troisième depuis le début de l’année, a dépassé les limites supportables, notamment par les retraités et les fonctionnaires les plus pauvres, que ce plan touche en priorité. Or, le problème de la Grèce n’est pas l’argent dépensé pour les plus pauvres mais celui des impôts non payés par les plus riches. L’économie parallèle, qui représente au moins 35 % du PIB, prive l’État grec de taxes représentant 15 % du PIB, alors que les impôts certifiés mais non recouvrés s’élèvent à 50 milliards d’euros, soit presque la moitié de l’« aide » à la Grèce ! Là réside la première cause de la situation désastreuse des finances publiques : le déficit annuel disparaîtrait et le niveau d’endettement serait inférieur à 75 % du PIB si on pouvait éliminer ces phénomènes. Une deuxième cause est aussi l’ampleur du budget de la Défense (4 % du PIB contre 2,4 % en France).
Le plan d’austérité actuel n’accorde aucune priorité à ces plaies. Il vise à combler les déficits, et ce au prix de demandes volontairement excessives formulées par des prêteurs qui ne peuvent ignorer que ces mesures plongeront l’économie grecque dans une récession profonde et durable. Le souci de ces prêteurs est, avant tout, de dissuader d’autres pays de recourir au mécanisme proposé à la Grèce.
Le projet de loi sur les mesures fiscales du plan d’austérité prévoit le relèvement de la TVA, augmente les taxes sur le carburant et revoit à la baisse les salaires des fonctionnaires. Quelles en sont les conséquences ?
Le dernier plan introduit un deuxième relèvement de la TVA (de 21 % à 23 %) et des taxes sur l’essence, le tabac et les alcools. La TVA était de 19 % jusqu’au mois d’avril. L’essence sans plomb est passée de 1,1 à 1,50 euro. Ces mesures représentent une baisse de pouvoir d’achat immédiate de plus de 5 % pour les plus pauvres.
La baisse des revenus des retraités et des fonctionnaires les plus modestes, épargnés par les plans précédents, est la principale caractéristique de la troisième version du plan d’austérité. Seuls les retraités qui touchent une retraite de moins de 5 600 euros par an sont épargnés. Les fonctionnaires au Smic (environ 630 euros) voient leur salaire diminué de 5 %. Les économies réalisées sur ces revenus faibles ne servent en fait qu’à payer la différence entre le taux auquel les autres pays de l’Union européenne empruntent (3 %) et le taux auquel ils prêtent à la Grèce (5 %) ! La baisse des revenus des retraités et des fonctionnaires, l’augmentation de la TVA et surtout l’augmentation du chômage qui est à prévoir par ce plan d’austérité aggraveront certainement des inégalités de revenus qui sont de 1 à 6 (contre 4,8 dans la zone euro).
Dans le premier plan d’austérité, approuvé par l’Union en février, les retraités étaient épargnés, et seuls les fonctionnaires gagnant plus de 2 000 euros par mois perdaient 7 % de leur salaire (le quatorzième mois), et jusqu’à 50 % de leurs primes. Toutes les mesures fiscales justes du plan final étaient là : relèvement des taux d’imposition supérieurs sur les revenus, la fortune, les donations et les successions, augmentation des taxes sur les revenus distribués, aggravation des sanctions contre les fraudeurs.
Que pensez-vous de l’attitude du gouvernement socialiste dans la mise en œuvre du plan d’austérité ?
Le gouvernement a hérité la situation d’une droite dont la gestion a été scandaleuse. Il a dressé une liste de priorités pour la redresser : lutte contre la corruption, la fraude fiscale et l’inefficacité d’un État omniprésent mais impuissant, pauvre et surendetté. Son premier plan d’austérité, qui avait recueilli un large consensus permettant sa mise en œuvre sans heurts majeurs, servait ces priorités et se souciait de justice sociale. Il était crédible, même s’il manquait un volet sur la relance et le développement, et qu’en l’absence d’une administration fiscale efficace, compétente, et surtout intègre, son application pouvait être difficile.
Le plan suivant a été dicté par une Union trop néolibérale pour admettre que ces priorités étaient les bonnes, et peu consciente de l’urgence d’arrêter une spéculation contre la zone euro et les dettes souveraines des États. Le plan final a été dicté par l’insistance de l’Allemagne de voir un plan tel qu’aucun autre pays ne puisse oser envisager un « sauvetage » de cette nature.