« Le polar décrit bien la société »

Éric Halphen a nourri son roman policier, « la Piste du temps », de son expérience de juge.

Sébastien Fontenelle  • 27 mai 2010 abonné·es

Politis : Comment en êtes-vous venu à écrire des polars ?

Éric Halphen I Je suppose que l’envie d’en écrire m’est venue, assez naturellement, de ce que j’en lis beaucoup – des auteurs anglo-saxons, en particulier, comme John Harvey ou Ian Rankin. Le polar est un genre qui se prête bien à la description du monde et de la société. J’ai longtemps hésité à faire de l’un de mes personnages principaux un juge d’instruction : j’avais peur de tomber dans le truc du gars qui raconte sa vie. Et puis je me suis dit : après tout, j’écris, et je suis magistrat ; je n’ai au fond aucune ­raison de ne pas être moi-même. Et je peux peut-être apporter au lecteur ma connaissance des milieux judiciaire et policier.

Précisément, ces institutions, telles que vous les décrivez, sont un peu glaçantes…

N’exagérons rien… Mais c’est vrai qu’elles sont assez, disons, emprisonnantes. Assez castratrices de l’envie de rechercher la vérité. Mon expérience personnelle fait que je ne peux pas porter un point de vue idyllique sur la justice, sur la police : mais c’est au lecteur de juger, justement.

Vos personnages, le juge Barth et le commandant Bizek, se heurtent, dans leur enquête, à d’importantes résistances au sein de leurs hiérarchies respectives et de l’appareil d’État : c’est du vécu ?

Je n’aime pas le mot. Mais on nourrit ce qu’on écrit de sa propre expérience de vie et, en effet, quand je décris le monde des « affaires » politico-financières, je nourris cette description de ce que j’ai traversé.

Comment expliquez-vous
qu’il y ait beaucoup moins d’« affaires », justement,
qu’il y a une dizaine d’années ?

Il y a moins d’enquêtes politico-financières. Le contexte politique très particulier des années 1990 – alternances, cohabitation – a favorisé le déclenchement de telles enquêtes : l’affaire des HLM de Paris, par exemple, était typiquement une peau de banane lancée contre Chirac. Mais les montagnes ont généralement accouché de souris – voyez, tout récemment, les affaires Pasqua –, avec l’effet que beaucoup de gens – des juges, des policiers, des journalistes d’investigation – se sont démotivés. Cela a même pu dissuader certaines personnes de venir témoigner : à quoi bon, se sont-elles dit, si ça ne sert à rien ? Mais cela ne signifie nullement que la corruption n’existe plus.

Vous semblez attacher beaucoup d’importance à la vie de vos personnages,
en dehors de leurs activités professionnelles, de l’intrigue policière proprement dite.

Ça me semble intéressant dans un polar. Mes personnages se définissent notamment par leur rapport à la solitude, à l’absence, au manque. Dans le cas de Bizek, qui a souffert d’un manque d’affection, une question qui se pose est : est-ce par hasard qu’il se retrouve à la Crim’, à enquêter sur la mort des autres ? Et le passage du temps est, dans ce livre, très important : aussi bien dans un cadre privé, dans le passé des personnages, dans leurs histoires de famille, que dans la progression de l’enquête. Ce rapport au temps est quelque chose qui m’intéresse. Par exemple : est-ce que réussir sa vie, c’est savoir rester fidèle à ce qu’on est, au fil des ans ?

Que répondez-vous ?

Je ne suis pas tellement tourné vers le passé, mais quand je vois que finalement je n’ai pas trop changé, par rapport à celui que j’étais quand j’avais 20 ans, je me dis que je suis plutôt content de ça.

Culture
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