Marée noire : L’ère du pétrole sale et risqué

L’explosion de la plate-forme pétrolière dans le golfe du Mexique est révélatrice de risques écologiques croissants, avec des réserves de moins en moins accessibles alors que la demande croît toujours.

Patrick Piro  • 13 mai 2010 abonné·es
Marée noire  : L’ère du pétrole sale et risqué

ça se passe mal, au large des côtes de la Louisiane. La marée noire va inéluctablement souiller des centaines de kilomètres de côtes au sud des États-Unis, car le pétrole s’écoule toujours, à raison de 800 000 litres par jour, du forage endommagé de la plate-forme Deepwater Horizon, qui a coulé le 20 avril à la suite d’une explosion qui a tué 11 employés. En fin de semaine dernière, tous les espoirs de l’exploitant BP étaient placés dans l’immersion d’une cloche métallique coiffant la fuite pour pomper 85 % du pétrole. Une première à ces profondeurs –1 500 mètres –, sanctionnée par un échec, en raison de la formation de cristaux à ces basses températures. En surface, on s’agite : épandage de produits dispersants, pose de barrages de bouées, dragages en mer, etc. Mais les efforts sont dérisoires devant l’ampleur de la nappe. La ­solution ­radicale ne devrait pas aboutir avant trois mois : le forage d’un puits latéral à la rencontre du premier pour y injecter du ciment et le « tuer ». D’ici là, la marée noire sera peut-être deux à trois fois plus massive que celle provoquée par l’échouage de l’Exxon Valdez en Alaska en 1989, la plus importante jamais subie par les États-Unis.

Une enquête est en cours, mais la responsabilité de BP semble d’ores et déjà totale. Selon des témoignages, l’explosion serait due à des manœuvres d’exploitation mal exécutées, et le pétrolier est soupçonné d’avoir foré au-delà des autorisations. Il lui est aussi reproché d’avoir négligé d’installer, pour des raisons économiques, des dispositifs d’obturation du puits à distance en cas d’accident, utilisés sur d’autres plates-formes. Dans un document présenté l’an dernier aux services de contrôle états-uniens, BP minimisait considérablement les risques potentiels de l’activité de Deepwater Horizon… La catastrophe pourrait coûter plus de 12 milliards de dollars à la compagnie.

Cet accident sans précédent est révélateur de la tension qui pèse sur le secteur pétrolier : alors que la consommation mondiale ne faiblit pas, les nouvelles réserves de pétrole de bonne qualité sont de plus en plus difficiles d’accès, éloignées des lieux de consommation, chères à exploiter, « et les risques pris pour y accéder vont s’accroître », prévoit Darek Urbaniak, spécialiste des industries extractives aux Amis de la Terre Europe (Bruxelles).

Nombre de nouveaux forages concerneront de très grandes profondeurs, sur terre ou au large des côtes – le ­pactole révélé en 2008 au large du Brésil repose sous 5 000 mètres de sédiments, à plus de 2 000 mètres sous la surface –, ou bien au fond de l’Arctique, dont les énergéticiens se réjouissent de voir disparaître la banquise pour cause de réchauffement climatique, et malgré les grandes difficultés techniques pour récupérer la manne [^2]. Avec la crise des ressources pétrolières, et sous la pression des pétroliers (dont BP), le Canada revient actuellement sur les restrictions qu’il s’était imposées après la catastrophe de l’Exxon Valdez, comme le moratoire sur l’exploitation maritime des hydrocarbures au large de la Colombie-Britannique. Un forage en eau très profonde a démarré le 9 mai au large de Terre-Neuve en dépit des protestations écologistes. Avec la catastrophe de la plate-forme Deepwater Horizon, le vent pourrait cependant tourner à nouveau (voir encadré).

Qu’à cela ne tienne, il y a les pétroles « non conventionnels ». Des huiles lourdes, très visqueuses, mélangées à des sédiments : du pétrole jusque-là peu exploité en raison de très importants coûts d’extraction et de raffinage. Mais avec un baril proche de 90 dollars, la rentabilité est atteinte. « Et l’on commence à entendre dire qu’ils comportent bien moins de risques que les forages en eau profonde… », relève Anne Valette, aux Amis de la Terre France.

Un jugement parfaitement biaisé : le réseau écologiste international mène actuellement campagne pour dénoncer l’épouvantable saccage environnemental provoqué par l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta (au Canada), dont le gisement représente la deuxième réserve pétrolière mondiale après celles d’Arabie Saoudite. L’exploitation de ce pétrole non conventionnel, découvert aussi en quantité au Venezuela, nécessite des produits chimiques et d’énormes quantités d’eau – « une ressource de plus en plus convoitée par la production d’énergie », s’inquiète Didier Houssin, directeur des marchés pétroliers à l’Agence internationale de l’énergie. Les sables bitumineux de l’Alberta pompent en permanence l’équivalent de la consommation d’eau de quatre millions de personnes en Île-de-France.

Cette extraction abandonne également sur place des millions de tonnes de boues résiduelles toxiques. « Et sous l’effet de la demande, la production actuelle, qui a confidentiellement démarré dans les années 1970, atteint 1,3 million de barils [^3] À terme, les carrières canadiennes de sables bitumineux, après déforestation, pourraient couvrir l’équivalent du quart de l’Hexagone.
Par ailleurs, l’extraction consomme une énergie considérable, pour chauffer et distiller ces huiles. « Le rendement énergétique, qui atteint 85 % avec des pétroles classiques, peut chuter à 60 %, avec un bilan CO2 déplorable », argumente l’économiste Benjamin Dessus, spécialiste des questions d’énergie. On estime ainsi qu’un baril extrait des sables bitumineux aura produit trois à cinq fois plus de gaz à effet de serre qu’à partir d’un forage conventionnel.

La province d’Alberta avait assorti l’autorisation d’exploitation des sables d’une obligation de réhabilitation des terrains. « En quarante ans, pas un hectare touché ne répond à ce cahier des charges », s’alarment les Amis de la Terre Europe. Au passage, les droits des populations indigènes ont une fois de plus été sacrifiés au dieu pétrole. Une des communautés (Fort Chipewyan) relève une croissance de 30 % des taux de cancer. Une autre (Beaver Lake Cree Nation) attaque les exploitants en justice pour 17 000 violations recensées de ses droits de pêche et de chasse.

[^2]: Une dizaine d’années de la consommation mondiale de pétrole, et trois fois plus pour le gaz.

[^3]: Un baril équivaut environ à 160 litres. par jour et pourrait quadrupler d’ici à 2030… », prévoit Darek Urbaniak.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes

Pour aller plus loin…

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement
Environnement 19 novembre 2024 abonné·es

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement

Deux sénateurs de droite ont déposé une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc. : elle s’attaque frontalement aux normes environnementales, pour le plus grand bonheur de la FNSEA.
Par Pierre Jequier-Zalc
« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »
Entretien 13 novembre 2024 abonné·es

« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »

Climatosceptique de longue date, Donald Trump ne fera pas de l’écologie sa priorité. Son obsession est claire : la productivité énergétique américaine basée sur les énergies fossiles.
Par Vanina Delmas
« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »
Entretien 8 novembre 2024 abonné·es

« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »

Le collectif de chercheurs Scientifiques en rébellion, qui se mobilise contre l’inaction écologique, sort un livre ce 8 novembre. Entretien avec un de leur membre, l’écologue Wolfgang Cramer, à l’approche de la COP 29 à Bakou.
Par Thomas Lefèvre
Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »
Entretien 6 novembre 2024 libéré

Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »

L’ancien chargé de campagne chez Greenpeace décrypte comment la complicité des ONG environnementalistes avec le système capitaliste a entretenu une écologie de l’apparence, déconnectée des réalités sociales. Pour lui, seule une écologie révolutionnaire pourrait renverser ce système. 
Par Vanina Delmas