Naufrage de l’Europe
Les belles promesses de l’union monétaire ne sont pas au rendez-vous, et la fraternité européenne se réduit à une solidarité d’intérêts.
dans l’hebdo N° 1101 Acheter ce numéro
La « crise grecque » écorne un peu plus l’image déjà bien dégradée de l’Union européenne. L’inertie de l’Europe face aux attaques spéculatives dont la Grèce était la cible, puis l’austérité drastique imposée au peuple grec en échange d’un plan de « sauvetage » qui risque d’achever le malade entachent le dernier symbole auquel l’idéal européen s’était raccroché : l’euro devait nous apporter croissance, prospérité et protection sociale ; la monnaie unique devait symboliser l’unité des Européens et leur solidarité… Ces belles promesses, déclinées à droite et à gauche pour justifier la ratification de tous les traités depuis Maastricht (1992), n’ont jamais été honorées. Elles se fracassent sous nos yeux.
La « monnaie unique la plus forte du monde » que nous promettait le socialiste Michel Sapin, ministre de l’Économie au moment de la ratification de Maastricht, n’est forte que de sa surévaluation. Les écarts de compétitivité entre les pays qui l’ont adoptée et des règles de fonctionnement trop rigides font les délices des spéculateurs. Qui peuvent attaquer un pays, puis un autre, sans craindre une réaction de l’ensemble des « partenaires ».
Envolé, le rêve d’une Europe superpuissance dont l’euro stable devait être l’instrument. L’UE est engagée dans une lutte pour éviter de reculer dans le concert des nations. Contrainte qui plus est de recourir à l’aide du FMI pour secourir l’un de ses États membres. « L’Union européenne, ce n’est pas les États-Unis, déplorait le mois dernier Diego Lopez Garrido, secrétaire d’État espagnol pour les Affaires européennes. Nous sommes 27 États, pas un État. »
Et 27 territoires en concurrence, plus enclins à monnayer leur participation à l’effort collectif qu’à manifester leur solidarité. Qu’il est loin le « modèle de fraternité contagieuse » vanté par l’UDF Alain Lamassoure, en 1992, au lancement de l’Union, quand pour flatter son opinion publique la chancelière allemande chipote son aide financière à la Grèce. Quand notre ministre de l’Économie croit utile de préciser que notre soutien aux Hellènes est une bonne affaire puisque la première tranche de cette aide nous rapportera, rien qu’en intérêts, 150 millions d’euros.
« Pour pouvoir dîner à la table de l’Europe, encore faut-il savoir ne pas manger avec ses doigts », expliquait déjà, en 1992, le journaliste Jean-Marc Sylvestre, qui ne reconnaissait qu’un seul mérite à la monnaie unique, celui « d’obliger les pays à se conduire correctement » . En vertu de ce principe, l’UE avait adopté au sommet de Dublin, en décembre 1996, un « pacte de stabilité et de croissance » qui lie depuis 1999 les pays de la zone euro. Pérennisant les critères budgétaires du traité de Maastricht, il prévoit de lourdes amendes pour les pays dont les déficits budgétaires dépasseraient les 3 % du PIB, sauf en cas de circonstances exceptionnelles.
Ce n’était pas assez dissuasif. La plupart des ministres des Finances jurent depuis dimanche qu’ils vont tirer les leçons de la crise grecque. Comment ? Principalement en rendant « beaucoup plus strictes » les règles du pacte de stabilité, comme le réclame le ministre néerlandais des Finances, Jan Kees de Jager. Une exigence largement partagée. L’Allemagne souhaite ainsi des sanctions plus rapides contre les pays laxistes. « Il devra être possible à l’avenir de retirer, au moins temporairement, les droits de vote à un pays qui ne tient pas ses engagements » , a insisté Angela Merkel.
Le plan d’austérité imposé aux Grecs témoigne de ce retour à l’orthodoxie libérale la plus pure : suppression des 13e et 14e mois de salaire ainsi qu’une diminution de 8 % des primes (après une baisse de 12 % en mars) des fonctionnaires ; perte des 13e et 14e mois des pensions de retraite ; recul de l’âge de la retraite à 65 ans pour tous avec passage de 37 à 40 annuités de cotisation et calcul de la pension sur l’intégralité de la vie professionnelle au lieu des cinq dernières années ; hausse de la TVA, portée à 23 %, des taxes sur l’essence, le tabac et l’alcool, et des taxes foncières ; assouplissement des règles de licenciement ; libéralisation des marchés des transports et de l’énergie, et ouverture à la concurrence de nombreuses professions…
L’idéal européen s’abîme dans une téléologie. Une science des fins dernières qui garantit le salut en toutes circonstances : si les fruits de l’union économique et monétaire ne tiennent pas la promesse des fleurs, c’est que l’on n’aura pas appliqué avec assez de résolution son pacte de stabilité.