« Ne tournons pas le dos aux jours heureux » !
Pour la quatrième année, des résistants d’hier et d’aujourd’hui se sont rassemblés au plateau des Glières. Pour eux, la politique de Nicolas Sarkozy bafoue les idéaux du Conseil national de la Résistance. Un lieu symbolique pour un combat très actuel, et d’une urgence brûlante.
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Les feuilles s’envolent, l’orateur renifle, s’excuse, la voix cassée par le froid hivernal du plateau des Glières, haut lieu de la résistance en Haute-Savoie. Perché sur une petite tribune au fronton de laquelle est écrit « Citoyens d’hier et d’aujourd’hui », Serge Portelli, vice-président au tribunal de Paris, membre du Syndicat de la magistrature, lit ces « paroles de résistances » : « Ce que nous constatons, ce sont des atteintes aux libertés sans égales dans notre histoire récente. C’est, aujourd’hui, dans les lois qui sont appliquées et dans les programmes politiques une passion, une pathologie du fichage, de la surveillance, de l’enfermement, de l’exclusion. » Le magistrat ajoute : « Ce ne sont pas des lois de circonstances qui font que nous en sommes là. C’est le résultat d’une idéologie très précise, totalement contraire à celle des droits de l’homme et aux valeurs de la Résistance. » Près de 3 000 personnes l’applaudissent ce dimanche 16 mai, venues de toute la France pour écouter ces citoyens résistants, affrontant les caprices de la météo, sans banderoles revendicatives ni slogans, une consigne des organisateurs. Comme chaque année, la manifestation s’achève par un pique-nique citoyen après les discours de résistants « d’hier » et d’« aujourd’hui ». Ainsi, « tout le monde peut s’y retrouver, sans chercher de chapelle politique ou syndicale, ce qui fait qu’on ne sait pas par quel bout nous attaquer », expliquent Olivier Sibut et Robert Burgniard, à l’origine d’une initiative qui dénonce « l’instrumentalisation de l’histoire » par le président de la République depuis que celui-ci en a fait son lieu pèlerinage.
Le plateau des Glières est depuis quatre ans le théâtre d’un rassemblement organisé par Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui (CRHA), une association d’une trentaine de militants savoyards, parrainée par les résistants Raymond Aubrac et Stéphane Hessel. L’initiative a commencé par être spontanée, se souvient Olivier Sibut : « C’était en mai 2007, Nicolas Sarkozy est venu sur le plateau, deux jours avant le second tour de l’élection présidentielle. Ce qui nous a choqués, c’est qu’il récupérait les morts. C’était une mise en scène… » Pour CRHA, « la Résistance des années 1940 ne se limitait pas à un fait d’armes, elle portait aussi en elle un projet de société plus juste », qui s’incarnera dans le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), aujourd’hui en cours de démantèlement. « La politique de Nicolas Sarkozy, qui prône l’individualisme, tourne en effet le dos au programme du CNR, qui défendait un meilleur vivre-ensemble » , explique Gilles Perret, réalisateur du film Walter, retour en résistance, et cofondateur de CRHA. « Et on ne veut pas que l’héritage du CNR soit pompé par les tenants de la mondialisation libérale. C’est de l’autodéfense, car on se fait voler cet héritage par Sarkozy », intervient Nicolas Petry, militant du Réseau éducation sans frontières (RESF) à Annecy.
Des résistants d’aujourd’hui défendent donc modestement les valeurs du programme du CNR aux côtés des courageux anciens qui ont fait le déplacement, notamment Léon Landini, un des chefs des francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI). Le médecin généraliste Didier Poupardin, poursuivi par la direction de l’assurance-maladie du Val-de-Marne pour son refus « de faire payer plus » les malades en affection de longue durée, défend cette résistance citoyenne. Et sous le vent du plateau des Glières enneigé, Dominique Liot, agent EDF membre de l’association toulousaine Robin des bois de l’énergie, décrit son combat pour le droit à l’énergie et l’interdiction des coupures d’électricité chez les personnes en situation précaire. « C’est ma manière de faire vivre ce merveilleux programme du CNR et ses valeurs humaines, dont certains au plus haut niveau de l’État rêvent d’effacer le sens des mémoires en ayant le front de s’en réclamer. »
En janvier, le militant syndical a été sanctionné par vingt et un jours de mise à pied sans salaire, à la suite d’une procédure disciplinaire, pour avoir rétabli le courant à un foyer en difficulté. « Comment accepter au XXIe siècle que les besoins en gaz, en eau et en électricité ne soient pas garantis à tous et toutes, qu’EDF fasse à ce point du fric sur la misère et se comporte comme une multinationale ? » , se révolte Dominique Liot. Le syndicaliste promet de continuer : « C’est dans ce type d’actions illégales mais ô combien légitimes, comme celles des faucheurs volontaires ou des enseignants désobéisseurs, que quelques avancées ont été obtenues. »
Venue pour la première fois sur le plateau des Glières, Odette Nilès, résistante qui fut transférée au camp de Châteaubriand, où elle est devenue amie avec Guy Môquet, s’exclame : « Faisons nôtre cette phrase de Lucie Aubrac : “Résister se conjugue au présent.” » Car, pour elle, « on est en train de saboter le programme du CNR, on rogne sur les retraites, tous les acquis sociaux disparaissent ». « Que restera-t-il de ces “jours heureux” [^2] si nous ne résistons pas à la démolition des piliers de ce modèle social ? » , interroge Didier Magnin, président de CRHA. Gilles Perret a bien une idée : « Pourquoi pas transposer le programme du CNR dans les années à venir ? »
[^2]: Titre du programme du CNR.