Pinter sans fureur
dans l’hebdo N° 1102 Acheter ce numéro
Harold Pinter est mort il y a un an et demi, et nous avons déjà le témoignage de sa veuve, Vous partez déjà ? Le livre est un récit assez copieux, largement puisé par l’auteur dans son journal intime (mais il n’y a pas tout le journal !) et illustré de photos qui sentent leur Gala façon british. En fait, cette femme écrivain, Antonia Fraser, ne nous est pas inconnue. Familière de l’histoire de France, elle a écrit la biographie de Marie-Antoinette qui a inspiré le film de Sofia Coppola et a publié pas mal d’ouvrages savants sur certains moments du passé de la Grande-Bretagne. Universitaire décalée puisqu’elle est lady, elle entretient toute une série de relations à travers l’Angleterre, les États-Unis et la France, écrit dans les journaux et fréquente la gentry autant que les artistes.
Leur histoire débute comme une romance à rendre folle la presse à sensation. Ils ont la quarantaine, sont mariés tous les deux, avec des enfants (six pour Antonia !), quand ils sont frappés par le coup de foudre. « Vous partez déjà ? », dit Harold à l’historienne qui s’apprête à quitter une soirée. Elle reste, et leur prochain rendez-vous est un prélude à l’explosion de leurs vies en cours. Ils vont divorcer et vivre ensemble pendant trente-cinq ans. C’est un peu le mariage de la carpe et du lapin. Antonia est aristocrate et catholique. Harold est d’origine prolétaire, juif et athée. Leurs différences solidifient leur union au lieu de la déglinguer. C’est ce qu’Antonia proclame à longueur de pages. Elle nous raconte même que Pinter et elles votent pour Margaret Thatcher au début de son règne (le dramaturge changera vite d’avis, pour reprendre son combat pour les minorités et plus tard s’opposer à Tony Blair).
Antonia Fraser estime que son nouveau mari n’est pas loin de l’aristocratie : il n’en est pas issu, mais sa vie brillante et ses succès l’en auraient beaucoup rapproché ! Il n’y en a pas moins beaucoup de bonne foi et d’attention aux autres dans cette chronique d’un couple où le mari est une voix forte et l’épouse une voix douce et conciliante. Mais que de vanité, d’adoration de la frange opulente de la société anglaise, que de futilités partagées par l’un et l’autre ! Il est plaisant de savoir que Pinter est un fou des matches de cricket, mais quelque chose nous manque : la vraie fureur de Pinter, ici peint au pastel, en image d’Épinal britannique, par une femme du monde.