Querelle de clochers
dans l’hebdo N° 1102 Acheter ce numéro
Pas de hasard si Marianne a publié un hors-série daté de mars-avril, avec « 100 tables pour le plaisir ». Le frêle livret a suivi la parution de l’épais Guide rouge Michelin, lequel chaque année agace la concurrence et les critiques gastronomiques (et les restaurateurs quand ils n’y sont pas auréolés).
Le supplément de Marianne, sous la houlette de son chroniqueur maison, Périco Légasse, s’est inscrit d’emblée contre le maître étalon des caboulots. Affaire de clocher, dira-t-on. Mais une affaire aux enjeux financiers conséquents, tant pour les restaurateurs que pour les éditeurs. Assurément, il est juste de s’insurger contre l’establishment Michelin, son conformisme, sa dictature des étoiles, son poids économique. Reste la manière.
« 100 tables pour le plaisir » donc. Sans doute parce qu’il en existe pour le déplaisir. Peu importe le choix, à vrai dire, qui reste personnel, dans cet inventaire sous-titré « une certaine idée de la cuisine française », où l’on sent le besoin de valeurs sûres, de retour au traditionnel, à l’authentique, un arrière-goût de travail, cuisine, patrie. Avec force effluves de jalousie, de tacles bien prononcés, jusqu’à notamment titrer sur un casseroleur, Yves Camdeborde, au demeurant excellent, ignoré par la maison des pneumatiques : « La preuve que le Michelin est vraiment con. »
Parce que le Guide rouge a toutes les raisons d’irriter. Il assure pas moins de 100 000 ventes chaque année, il est le seul respecté et respectable, précisément parce qu’il est le seul à payer ses additions et à tester les tables de façon anonyme. Un anonymat qui fait douter des méthodes. Qui, où, comment, pourquoi ? Et le Michelin de répliquer à travers un article dans son dernier magazine, Étoile, sur un métier pratiqué par 14 inspecteurs, « loin des gaudrioles comiques et légères d’un Louis de Funès en transe de grimace dans l’Aile ou la cuisse ». Mais avec « 30 000 kilomètres de route par an, 250 repas, 160 nuitées à l’hôtel, 600 établissements visités ». Réplique du berger nomade à la bergère sédentaire. C’est de bonne guerre quand chacun veut conserver son pré carré. Et le client, lui, de mijoter entre deux conservatismes.