Justice dérisoire à Bhopal
La justice indienne a rendu un verdict provisoire des plus cyniques à l’encontre des responsables de la catastrophe chimique survenue en 1984.
dans l’hebdo N° 1107 Acheter ce numéro
Deux ans de prison, mais ce n’est pas encore certain, et une amende tout aussi dérisoire de 100 000 roupies (1 800 euros) pour avoir entraîné la mort « par négligence » : une aubaine ! C’est le verdict de la justice indienne, qui, le 8 juin, a déclaré « coupables » huit personnes pour leur responsabilité dans l’effroyable accident de Bhopal.
Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, au centre de la capitale de l’État indien du Madhya Pradesh, l’usine du chimiste états-unien Union Carbide explose, libérant un nuage de 40 tonnes d’un pesticide qui tuera instantanément près de 4 000 Indiens vivant dans les taudis alentour.
Le poison a continué à tuer depuis : les associations évaluent à ce jour à près de 25 000 le nombre de morts (3 500 officiellement) – bilan provisoire, car des malformations surviennent encore chez les nouveau-nés, et les terrains, toujours pas totalement dépollués, contaminent la nappe phréatique où les habitants puisent leur eau, jusqu’à trois kilomètres du site ! Quant aux malades, souffrant de maladies chroniques après leur exposition – cancers, déséquilibres hormonaux, problèmes rénaux –, ils seraient environ 100 000. Cet accident industriel, le pire de l’histoire, renforce avec ce jugement – après vingt-six ans d’attente – sa place en tête de la liste des affaires les plus cyniques du genre. Les victimes n’ont touché d’Union Carbide que de ridicules indemnités financières (à peine 500 dollars par victime). En 1996, le chef d’accusation pour homicide retenu contre le PDG de la firme (passée en 1999 dans le giron de Dow Chemical), Warren Anderson, a été levé, sous la pression des autorités indiennes, qui l’avaient laissé regagner les États-Unis.
Le 8 juin, bien qu’accusé, il était absent, déclaré « en fuite » par le tribunal. Il n’a jamais été inquiété, et l’indignation est très forte en Inde à la suite du verdict, dont les coupables devraient faire appel. Ils ont d’ailleurs tranquillement regagné leur domicile après avoir versé une aumône de caution, 25 000 roupies (450 euros).
Selon Michèle Rivasi, eurodéputée Europe Écologie, « cette catastrophe est révélatrice du climat délétère qui a accompagné le développement du commerce international au cours des trente dernières années, avec des pays riches qui n’ont pas hésité à délocaliser leurs industries les plus polluantes pour bénéficier, dans les pays d’accueil, de réglementations plus souples concernant les normes de pollution ». Conséquence logique : Dow Chemical se considère comme exempte de responsabilité dans la catastrophe, récusant la charge de décontaminer la nappe phréatique de Bhopal, machiavélique héritage toxique d’Union Carbide pour des décennies.