La pomme de discorde à gauche

Les primaires ouvertes ne séduisent guère hors du PS, où certains doutent déjà de leur vertu. Le choix d’un candidat reste un casse-tête dans toutes les familles de la gauche.

Michel Soudais  • 10 juin 2010 abonné·es
La pomme de discorde à gauche
© PHOTO : GUAY/AFP

La gauche a les yeux rivés sur la présidentielle de 2012. Question de réalisme. Car, quelle que soit l’analyse portée sur nos institutions, pas un parti ne nie l’importance de ce rendez-vous électoral. Que ce soit pour le gagner, chasser Nicolas Sarkozy et mettre en œuvre une autre politique, modifier le rapport de forces au sein de la gauche ou s’assurer d’un nombre plus important de députés aux législatives qui suivent, chaque formation politique cherche comment négocier au mieux l’élection à la magistrature suprême. Et ceux qui font mine de ne pas s’en soucier ne sont pas ceux qui s’en préoccupent le moins.

Après trois présidentielles perdues, les socialistes pensent avoir trouvé sinon la recette qui leur rouvrira les portes de l’Élysée, du moins le moyen d’être unis derrière leur candidat et d’éviter une trop forte dispersion de la gauche. Le conseil national du PS devait adopter mardi les modalités de primaires présidentielles ouvertes aux « sympathisants de gauche ». Une procédure dont les modalités ont longuement été discutées au sein d’une commission présidée par Arnaud Montebourg. Les primaires, explique-t-il, sont tout à la fois « un outil de mobilisation et aussi de rassemblement » , « une machine à gagner » et « une révolution politique ». Dans un parti convaincu que ses divisions internes ont plombé la candidature de Ségolène Royal en 2007, et toujours persuadé que l’échec de Lionel Jospin en 2002 est imputable à une trop grande dispersion des candidatures à gauche, rares sont les socialistes à oser encore émettre des réserves. Paul Quilès est de ceux-là. Pour l’ancien ministre, l’idée de primaires socialistes ouvertes est « un leurre » : non seulement elle « esquive la question du rassemblement de la gauche, qui ne peut se faire sans débat préalable sur les idées, mais elle suggère que le choix d’un candidat fera office d’arbitrage sur la ligne politique et les grands axes du programme ». Cette mise en garde a toutefois peu de chances d’empêcher l’adoption des primaires lors du vote des militants qui doit définitivement les adopter, le 24 juin. Le processus pourrait toutefois manquer ses objectifs faute de… candidats. Une rumeur insistante assure que Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry ont convenu l’un et l’autre de s’incliner devant le meilleur candidat. Une sorte de « pacte tacite » de « cohérence politique » auquel Ségolène Royal a apporté sa pierre en déclarant récemment vouloir éviter un « combat des chefs » qui serait « très difficile ensuite à surmonter ». Un tel accord, s’il se concrétisait, supprimerait une grande partie du suspense et de l’intérêt de primaires.

Il « serait inacceptable » , tempête déjà Manuel Valls. Candidat affiché – il se présente comme un « outsider déterminé » –, le député maire d’Évry défend le droit des électeurs de gauche à choisir leur candidat et influer ainsi sur la ligne du PS, et dénonce ceux qui « voudraient revenir à la vieille politique où l’on s’autodésigne à quelques-uns » et rêvent de transformer les primaires en « un grand apéro géant » . En termes à peine plus diplomatiques, Pierre Moscovici, autre « outsider » déclaré, met en garde contre les « petits arrangements entre amis » qui aboutiraient à des primaires « verrouillées ou jouées d’avance » . Ce qui, pour François Hollande, autre postulant, serait le cas si le calendrier, « trop tardif » à ses yeux, était maintenu : les électeurs n’auraient alors d’autre choix que d’entériner les sondages.

Ces critiques ne sont pas sans échos parmi les « partis frères » que le PS souhaitait voir participer au processus. Jean-Pierre Chevènement refuse de participer à ce « simulacre ». « Les responsables socialistes eux-mêmes ont enterré la primaire avant même de l’avoir adoptée », accuse le président du MRC, pour qui Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn et Ségolène Royal « sont d’accord pour se ranger derrière le candidat plébiscité par les sondages à travers une campagne organisée par les médias » . Même « réserves importantes » du côté du PRG, qui dénonce l’arrangement « scellé entre les principaux leaders du PS et les règles annoncées ».

Les écologistes ne sont pas plus intéressés. Interrogés ce week-end, Daniel Cohn-Bendit et Cécile Duflot étaient au moins d’accord pour ne pas se sentir concernés par une procédure qui « consiste pour le PS à répondre à son besoin » , selon l’expression de la secrétaire nationale des Verts. À défaut de s’entendre sur la candidature écolo. « Je me sens d’abord motivé par une primaire écologiste pour désigner notre candidat, car je souhaite qu’il y en ait un », complète Jean-Vincent Placé. Les Verts ne sont pas pour autant sans avis sur le candidat que devraient présenter les socialistes. Cécile Duflot a ainsi fait part de son scepticisme vis-à-vis d’une éventuelle candidature de DSK, un homme qui « assume une politique libérale et préconise une rigueur insupportable ».
Ce rejet d’une candidature DSK est l’un des rares points de vue partagés au sein du Front de gauche. Car entre le Parti communiste et le Parti de gauche aussi la présidentielle est une pomme de discorde. Plus que réticents à une candidature de Jean-Luc Mélenchon, qui dénonce « une campagne de dénigrement » contre lui, les dirigeants communistes jouent la montre. Ils invoquent la nécessité de « préciser d’abord le projet politique qu’il serait nécessaire de porter » , tout en retardant la mise en place d’instances qui pourraient s’y atteler, et lancent l’idée d’une candidature du mouvement social – Gérard Aschieri a décliné l’offre –, tout en testant les noms d’Alain Bocquet, Francis Wurtz, André Chassaigne. Signe de cette drôle d’ambiance, la première réunion au sommet du Front de gauche depuis les régionales, initialement prévue début mai, devait finalement se tenir le 9 juin.

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