Les labyrinthes du temps
Dominique Pifarély présente « Dédales »,
qui mêle écriture
et improvisation.
dans l’hebdo N° 1106 Acheter ce numéro
Le violoniste et compositeur Dominique Pifarély vient d’enregistrer une de ses œuvres majeures, Dédales, jalon important dans l’évolution de la musique improvisée française. Il la propose en concert à Poitiers. Nous lui avons demandé ce qui en fait, pour lui, la singularité.
Politis : Quelle place occupe
le projet Dédales dans votre travail ?
Dominique Pifarély : Dédales est une œuvre particulière, mais elle se situe dans la continuité d’un travail acoustique que j’ai conduit notamment avec le pianiste François Couturier et le chanteur Dominique Visse. Dédales m’offre la possibilité de démultiplier ce travail un peu « chambriste » avec un petit ensemble sans aller jusqu’à reproduire les canons du big band de jazz.
Par ailleurs, ce projet a vu le jour en Poitou-Charentes, dont sont issus les deux tiers des musiciens du groupe, et a été soutenu par Bernard Prouteau, le regretté directeur de Jazz à Poitiers. Mon implication dans le Centre de formation de musiciens intervenants de l’université de Poitiers (par lequel est, par exemple, passé le pianiste Julien Padovani) m’a permis de m’enraciner dans cette région et m’a conduit à y rencontrer des musiciens. En composant l’orchestre qui joue Dédales , j’ai essayé d’être fidèle à ces rencontres.
Qu’est-ce qui fait la particularité de Dédales ?
L’équilibre du programme : chaque morceau est composé en fonction des autres, mais les différentes pièces ne sont pas reliées par une logique, plutôt par une dramaturgie qui organise des duos ou des trios, qui fait se succéder les sonorités.
Au cœur de cette dramaturgie, il y a une réflexion sur le temps…
Oui, ce qui m’intéresse est de faire entendre simultanément des temporalités différentes, pas seulement dans les ruptures et les structures, mais dans le jeu de chaque instrument, par des superpositions de groupes instrumentaux dont les timbres permettent de saisir que chacun a un rapport au temps particulier.
Est-ce que cette approche tire Dédales du côté de la musique « contemporaine » ?
Je ne sais pas si mes compositions ont un rapport avec la musique contemporaine. J’en écoute, je l’ai étudiée, c’est une influence parmi d’autres. Mais je remarque aussi que, de mes productions récentes, Dédales est considérée comme celle qui sonne le plus « jazz »… Peut-être la présence de deux cuivres, deux anches, d’une section rythmique (même si la contrebasse ne joue pas une partie de basse jazz) donne-t-elle au groupe une allure « jazz » ?
Les couleurs que cet orchestre permet d’obtenir sont originales…
J’utilise des sonorités qui sont parfois proches de celles d’un orchestre classique, donc contemporain, dans l’alliage des cordes et des vents, dans le fait qu’il y a trois cordes à l’archet en compagnie d’une clarinette, d’un baryton, d’une trompette et d’un trombone. Cela modifie aussi le rapport de l’auditeur à cette musique : l’écoute ne peut pas être univoque. La batterie opère sans doute comme un principe unificateur qui renvoie au jazz, alors que le mode d’écoute suggéré par l’œuvre rappelle celui de la musique contemporaine. Quoi qu’il en soit, il demeure un rapport entre écrit et improvisé qui est essentiel dans la mise en forme de la narration : écriture et improvisation sont deux modes de fabrication imbriqués dans la continuité du discours, et l’improvisation demeure pour moi un outil premier.