Mémoires vives

Dans « Maniquerville », Pierre Creton filme la durée et la sérénité.

Christophe Kantcheff  • 10 juin 2010 abonné·es

Dans un centre de gérontologie, à Maniquerville (Seine-Maritime), une comédienne, Françoise Lebrun, vient faire des lectures de la Recherche du temps perdu aux résidents. Le centre est situé dans le superbe parc du château attenant, en ruine après un incendie, que la municipalité a décidé de transformer en hôtel de tourisme de luxe. Le chantier a commencé sous les yeux des vieillards, conscients qu’ils seront bientôt déménagés.
Pas facile de faire du temps le sujet d’un film. C’est pourtant ce qu’a réussi Pierre Creton avec Maniquerville , auteur singulier de films sans pareils, comme Secteur 545 (2004) ou ­Paysage imposé (2006). Si le temps est le matériau littéraire par excellence, il est beaucoup plus difficile à incarner à l’écran. Pour y parvenir, le cinéaste fait entrer en résonance les temporalités voisines, les longues durées qui, en cet endroit, se parlent, communiquent. Ce sont les verticalités des sensations du narrateur proustien (l’épisode de la madeleine, notamment) qui suscitent les souvenirs des vieux entourant Françoise Lebrun ; ou celles des arbres vénérables qui se déploient dans le parc, et dont la beauté et la sérénité touchent chaque jour les résidents. Quelque chose de la civilisation et de la dignité des personnes devient ici tangible, qui est menacé par un autre temps, rapide et horizontal celui-là, imposé par notre société, et symbolisé par le chantier d’à côté, bruyant et destructeur. Sans discours, mais en sachant montrer, Pierre Creton a réalisé avec Maniquerville un film aux fortes significations politiques et anthropologiques.

Culture
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