Pas si bête mais pas si sérieux

Chaque semaine pendant la Coupe
du monde, un regard différent sur le foot. Aujourd’hui, le magazine So Foot.

Ingrid Merckx  • 17 juin 2010 abonné·es

« Coefficient d’africanité ». C’est un gag pour égayer l’exercice obligé du mois : le guide de la Coupe du monde, équipe par équipe. Ça donne, pour l’Afrique du sud : « Des grèves, du racisme anti-Boer, un président polygame : aucun doute, ce pays doit être jumelé avec la France. » Pour la France, « Ray Domenech a raclé les fonds de tiroirs car, dans son équipe, y avait que Mandanda et Evra à être nés en Afrique ». Les « vrais » Africains seront donc : N’Gignac, Touloulou-Lalan, Carrassokho, Mvalbuena, Ribéri-Ba… glousse S o Foot. Un mensuel « intello et rigolo» selon ses fans, qui comptent des « cérébraux» , alliant sport et matière grise, des passionnés à la mode vintage, du genre à collectionner vieux maillots et albums Panini, et des Parisiens branchés. Le magazine déclare 6 000 à 7 000 abonnés, de 25 000 à 30 000 ventes en kiosque et une progression constante depuis ses débuts, en 2003. Soit une santé insolente quand la presse va mal. Comme pour le Mondial 2006, le mensuel a ouvert un blog et renforce l’équipe de Libération. Ça permet de varier les exercices, et puis, « un papier sur place, c’est toujours mieux que depuis la rédac’ » . Ils ont assez de fric pour partir en reportage quand ça leur chante – option charters et hôtels cheap – mais pas assez pour compter plus de deux CDI. Pigistes ou stagiaires… Pas confortable à la longue. Mais la décontraction transpire des locaux et des pages.

So Foot est installé au deuxième sous-sol d’un ancien parking dans le XIVe arrondissement à Paris. Trois canapés en U devant un téléviseur allumé sur… Roland-Garros. Une console de jeu et un baby-foot. Ambiance vestiaire, masculine sauf exception. Très peu sont journalistes de formation. Les trois fondateurs et propriétaires – Franck Annese (directeur de la publication), Sylvain Hervé et Guillaume Bonamy – sortaient de l’Essec, où ils avaient créé un magazine culturel gratuit, Sofa. « Mais, fans de foot, on était frustrés comme lecteurs de presse et comme journalistes », témoigne Stéphane Régy, pigiste à Sofa devenu rédacteur en chef de So foot. D’où l’idée d’un magazine sur le foot mais « différent »  : pas de résultats, pas de comptes rendus de matchs, mais tout ce qu’il y a « autour », de la coiffure de tel joueur à des questions de société…
« Le foot permet de tracer des ponts. On défend l’idée que ce n’est pas si bête d’y jouer et d’en regarder ». L’esprit So Foot a fait du chemin : dans le numéro de juin, c’est le comédien Mathieu Amalric qui vient parler ballon. « Avant, culture et foot étaient aux antipodes, mais nous, on est aussi très musique et ciné… Cela dit, si le foot n’est pas qu’un truc de beauf, ça n’est jamais que du foot. Faut pas se prendre trop au sérieux. »

D’où cette tonalité burlesque et débridée. So Foot s’autorise des « interviews rapidos » avec des «  questions bêtes » , et des idées braques comme le « dico des joueurs à une seule sélection » . Un supplément de trente pages qui leur a pris des plombes. Un collector pour les maniaques. Ils osent. Tant pis si ça rallonge, So Foot plane au-dessus des contraintes habituelles. « Quand ça vaut le coup, on prend de la place, on voit après. » Les bouclages sont durs : l’annonce de la marée noire en Louisiane a mis quatre jours à parvenir jusqu’à la planète So Foot.

En 2002, les numéros zéro – « Les femmes et le foot », « Les frères Cantona » – ressemblaient à des fanzines. Aujourd’hui, le mensuel a de la gueule, rappelle des publications anglaises ou le magazine Actuel . Libérés, un poil enfants gâtés, ses journalistes cultivent leur « ton » à l’écart de tout « milieu ». Ils se gardent de copinage, mais sont indulgents avec les joueurs, ces « gosses pleins de fric » auxquels ils trouvent un « potentiel comique énorme ». C’est surtout ça, So Foot : une manière singulière de mettre en scène l’information. « Tous de gauche sauf un Modem », mais sans colère apparente, ils grimacent devant les « discours moralisateurs sur le foot et l’argent » et préfèrent consacrer des articles à des joueurs sans papiers et un numéro spécial à l’Afrique. Pendant le Mondial, seuls les stagiaires regardent les matchs à la rédac’. « Avant, c’était dehors, avec bière et hamburgers, maintenant, c’est à la maison, avec charcuterie et vin rouge. On a vieilli… » Mais le principe du mag’ – un regard « original et décalé » sur le foot – est dans la fleur de l’âge.

Société
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