Un communisme peut en cacher un autre
« Partant du PCF », Gilles Alfonsi est l’un des animateurs des Communistes unitaires
et participe à la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase).
dans l’hebdo N° 1106 Acheter ce numéro
Quittant avec d’autres le PCF sans quitter le communisme, le moment me semble opportun pour évoquer le « cahier des charges » contemporain du combat pour l’émancipation et d’une gauche digne de ce nom. Il l’est surtout dans la période où les périls – économiques, sociaux, culturels, écologiques, démocratiques – jouxtent les possibilités, balbutiantes mais prometteuses, de redéploiement du projet d’émancipation. Après des années de triomphe des politiques néolibérales, la légitimité du capitalisme est en berne. L’Union européenne et le PDG de la France promettent du sang et des larmes – on les sait prêts à gouverner aujourd’hui par la peur, demain par la force ? –, et leurs promesses ne font plus rêver personne : on ne les croit plus.
Dans le même temps, la gauche est en panne d’identité et de projet. Le PS produit quelques textes de référence, mais ne rompt malheureusement pas sa pente social-libérale. Europe Écologie mixe une véritable novation sur la forme et une sérieuse ambiguïté à l’égard du capitalisme. Le Front de gauche est à ce jour plombé par le duo-duel PC-PG. Le NPA se prépare à renouer avec l’impuissance gauchiste là où son projet initial était innovant.
C’est surtout dans la société civile que l’on trouve des prémices de la fin de la toute-puissance du capital : vitalité des pensées critiques du capitalisme, recherche d’issues nouvelles au-delà des résistances à Sarkozy, nouvelles formes d’engagement, dynamiques citoyennes unitaires ou encore choix de vie alternatifs…
L’intuition clé portée par la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), qui vient de confirmer sa démarche hybride, revendiquée, est que le travail de fond sur la visée et les contenus d’une alternative doit aller avec une métamorphose de la nature et des formes de la politique. Elle rencontre aujourd’hui les réflexions d’Alain Badiou, de Lucien Sève et d’Edgar Morin, qui elles-mêmes se croisent.
Alain Badiou évoque le « lien interne entre le capitalisme déployé et la démocratie représentative [^2] » , contestant que l’essence de la possibilité égalitaire soit la démocratie actuelle. Lucien Sève souligne l’objectif « d’opérer un fondamental déplacement du centre de gravité de l’action communiste, en substituant carrément au primat de la politique institutionnelle ce que j’appellerai la politique sociale », qu’il définit comme « l’engagement au comptant de l’appropriation sociale par les salariés et citoyens associés [^3]» . Edgar Morin, après avoir, lui aussi, critiqué la « nécessaire » mais « insuffisante » démocratie parlementaire, appelle à un « nouveau commencement en reliant les trois souches (libertaire, socialiste, communiste), en y ajoutant la souche écologique [^4] ».
Chacun constate la simultanéité de ces propositions et leurs convergences : elles ont en commun d’identifier la crise actuelle de la politique à la prédominance de logiques institutionnelles contradictoires avec l’émergence de nouvelles formes de politisation populaire. Cela conduit à préciser la nature du projet d’émancipation : une convergence fondamentale est à construire entre le combat pour l’égalité et une révolution démocratique. Une telle ambition, qui se situe sur le temps long de la construction d’une nouvelle culture politique, comporte différentes dimensions : celle d’un aggiornamento idéologique par le métissage de courants politiques ; celle d’une réinvention de la politisation populaire, qui suppose de rompre enfin avec la culture des partis guides (vieux ou jeunes) ; celle, trop oubliée, d’une refondation du rôle et des fonctions des forces sociales et politiques, à partir de ce constat : la répartition traditionnelle des rôles entre des syndicats chargés de l’animation des mobilisations et des partis conçus comme bras politiques du mouvement social dans les institutions ne fonctionne plus.
Ces questions sont posées à toutes les forces de gauche – par exemple, au Front de gauche, qui jusqu’ici ne prend pas au sérieux ceux qui les expriment – aussi bien qu’aux syndicalistes, aux intellectuels critiques et aux citoyens. On plaide pour qu’elles ne soient pas laissées en jachère, afin notamment de remettre les moments électoraux à leur place, moins hypertrophiée qu’aujourd’hui, c’est-à-dire en les abordant, bien sûr, mais autrement.
Faute de s’être mis au travail sur ces questions – et tant d’autres –, le PCF n’a plus d’identité. C’est en les prenant à bras-le-corps que les partisans de l’émancipation, et parmi eux les communistes, participeront joyeusement à l’enterrement du vieux monde, à sa métamorphose.
[^2]: L’Explication, Alain Badiou/Alain Finkielkraut, Lignes, mai 2010.
[^3]: « Que faire maintenant ? Dix thèses non conformes d’un communiste sans carte », Lucien Sève, avril 2010,
[^4]: « Ce que serait “ma” gauche », Edgar Morin, le Monde, 22 mai 2010.