« Un travail soignant, et non policier »
Directrice de l’association Advocacy France, Martine Dutoit s’insurge contre le projet de loi renforçant les dispositifs de soins psychiatriques sous contrainte et réclame une véritable politique de santé mentale.
dans l’hebdo N° 1108 Acheter ce numéro
Politis : La ministre Roselyne Bachelot défendra devant l’Assemblée à l’automne un projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques [^2] ». Ce texte fait l’objet d’une contestation groupée, signée notamment par l’association d’usagers Advocacy France. Pourquoi cette fronde ?
Martine Dutoit : Cette proposition de loi ne fait que reprendre la loi du 27 juin 1990 en en changeant les termes. On passe d’une loi d’organisation de l’hospitalisation à une loi d’organisation des soins. On allège les certificats pour maintenir les personnes en hospitalisation sous contrainte. On rajoute des possibilités de contrôle des procédures, mais a posteriori. On développe une forme de « garde à vue psychiatrique » de 72 heures. Surtout, on instaure une possibilité de soins contraints à domicile. Cela au moment où, dans le cadre de drames médiatisés, le corps soignant se voit reprocher d’avoir laissé sortir des patients de l’hôpital. Nicolas Sarkozy avait demandé une réforme du droit de l’hospitalisation psychiatrique à la suite du meurtre d’un étudiant à Grenoble en novembre 2008 par un patient. En réaction à de tels drames, Roselyne Bachelot entend accroître les prérogatives des préfets et des maires pour décider le maintien de soins sous contraintes, même contre l’avis du médecin, au lieu de renforcer les équipes médicales.
Y avait-il un besoin juridique ou cette réforme vient-elle répondre à un fait divers sur fond de réorganisation du système hospitalier ?
La loi de 1990 devait être revue cinq ans plus tard. Depuis 1995, tout le secteur de la psychiatrie se mobilise. Des associations d’usagers en santé mentale comme Advocacy France ont émergé. Elles demandent une révision de la loi allant dans le sens d’une loi générale qui s’inscrive dans le droit commun et s’oppose à cette logique d’ordre public dictée par des faits divers et à cette logique gestionnaire liée à la réduction du nombre de lits. [Entre 1985 et 2005, la capacité d’hospitalisation en psychiatrie est passée de 129 500 à 89 800 lits et places, d’après un rapport du Sénat. NDLR.]
Comment appréhender la question des soins sous contrainte ?
La contrainte est nécessaire dans des situations d’urgence, mais qui doit contraindre ? C’est un travail soignant et non policier, qui nécessite des personnels disponibles et formés. C’est pourquoi nous défendons le développement d’équipes mobiles pouvant se rendre chez les gens, prendre le temps de les écouter, de leur parler, de les convaincre. D’ailleurs, la plupart des personnes impliquées dans les drames récents avaient demandé de l’aide. Mais structurer tout le système de prise en charge autour de la contrainte est une aberration. Cela dit, l’intervention des psychiatres à domicile est trop limitée. De plus, comment convaincre les personnes de se faire hospitaliser quand elles savent qu’elles vont s’y trouver enfermées, isolées, et peu prises en compte ? Reste que ce projet de loi n’interroge pas les pratiques, il propose une forme d’hospitalisation à moindre coût. Avec tout que cela implique en termes de négation des droits du patient et des libertés individuelles : une femme qui a subi des violences chez elle va-t-elle s’y trouver renvoyée ? Un patient pourra-t-il encore refuser un traitement ?
Que dit ce débat de l’évolution de la prise en charge psychiatrique ?
Elle s’est dégradée, notamment au niveau des équipes mobiles et de la formation des infirmiers. En milieu hospitalier, le manque de personnel fait qu’on remplace souvent la parole par de la contention. Il faut des moyens supplémentaires, mais aussi savoir ce qu’on va en faire : les plans sur la santé mentale se sont succédé sans concertation avec les acteurs. Le législateur doit entendre la voix des concernés. Les associations d’usagers pâtissent d’une représentation molle, et il n’y a pas de consultation démocratique. L’étiquette sociale des personnes atteintes de troubles mentaux n’a pas bougé. Les médecins sont plus prudents sur les diagnostics, et tout peut rentrer dans le cadre des « troubles mentaux ». Mais la médiatisation autour de la peur fait du tort : les personnes atteintes de troubles sont très stigmatisées. Un juge peut décider de retirer la garde de ses enfants à une femme qui a fait une dépression. Nous sommes opposés à une loi spécifique reposant sur une catégorie de personnes : « les malades mentaux ». La loi doit reposer sur une situation. Enfin, on a encore tendance à considérer que les médicaments sont les seuls traitements en oubliant la psychothérapie. Il ne s’agit pas de jouer l’un contre l’autre, mais de faire en sorte que les patients puissent avoir le choix.
À quoi ressemblerait une psychiatrie respectueuse de la personne ?
La santé mentale touche tous les secteurs, il faut revoir toute la politique de prise en charge. Nombreuses personnes sont demandeuses de soins, dans les prisons, dans les rues, chez elles… Il faut développer les lieux d’accueils de crise, renforcer l’ensemble du dispositif, informer les gens sur leurs droits, instaurer un juge des affaires psychiatriques, comme il en existe au Québec, par exemple, et développer le recours à des personnes de confiance, soit des tiers pouvant accompagner les personnes en souffrance psychique pour éviter les malentendus en cas de crise. Sinon, on reste dans l’urgence, on contraint, on culpabilise, on manipule… Il peut y avoir danger et donc recours à la contrainte, mais il ne peut y avoir de « soins » psychiatriques sans consentement.
[^2]: Assemblée nationale : proposition de loi 2494.