Applications d’écran total
dans l’hebdo N° 1112-1114 Acheter ce numéro
Autant l’écrire d’emblée, aucune technologie ne remplacera jamais une odeur, un sourire, un paysage, que seul l’ailleurs offre au voyageur. Mais, comme dans tant d’autres domaines, Internet a révolutionné notre rapport aux échappées belles. On pense en premier lieu à la préparation d’une escapade prochaine : tout, désormais, peut être soupesé, jugé, confronté, avant de faire son choix. Intérêt du pays, choses à y voir, climat, vidéos et photos par milliers, expériences d’autres internautes, voire critiques ultra-détaillées d’un hôtel, cartes géographiques et satellites, votre ordinateur peut tout décortiquer, tout anticiper. Jusqu’à l’excès, tant les heures passées à « scanner » une destination peuvent édulcorer l’effet de surprise et le nécessaire abandon à l’inconnu induits par le voyage. Autre effet pervers d’un atout considérable d’Internet, la possibilité pour le voyageur de garder un contact permanent avec ceux restés à quai, et partant de les informer en direct de leur expérience au long cours. Une sorte de « fil à la patte » dont il est devenu difficile de se défaire. Combien de vacanciers voit-on maintenant squatter des heures durant les cybercafés de Bangkok, Séville ou Brno, dans un besoin irrépressible de tout raconter, de tout montrer, tout de suite ?
Le temps de l’absence n’est plus, tout comme celui du retour, puisque l’on n’est finalement jamais parti.
Là où Internet a encore révolutionné l’approche de l’ailleurs et de l’autre, c’est qu’il est désormais possible de s’évader sans bouger. À la fin des années 1990, à l’époque des « modems 33 K », de leurs bips façon morse caractéristiques, établir une connexion vocale entre le fin fond des Vosges et la banlieue de Chicago, à l’aide d’un logiciel ancêtre de Skype, relevait de l’exploit. Aujourd’hui, tout un chacun peut apprendre une nouvelle langue et s’approprier une culture inconnue via des cours donnés par visioconférence. Autre ouverture nouvelle sur le monde possible depuis son écran, peut-être plus inattendue, le voyage par l’intermédiaire des jeux vidéo a pris un essor particulier ces dernières années. Que ce soient le voyage dans un monde imaginaire, avec des jeux d’aventures comme le mythique Tomb Raider, le voyage dans l’histoire, avec la reconstitution de grandes batailles qu’offrent des jeux de simulation aérienne ou de combats au sol, voire le voyage dans l’espace.
Dans ses dernières évolutions, le jeu vidéo permet même de quadriller des mégalopoles entièrement reconstituées par ordinateur en trois dimensions. Pas toujours comme simple touriste : dans le dernier opus du célèbre « Grand Theft Auto », devant lequel Nadine Morano a involontairement posé en compagnie de ses enfants pour Paris Match, vous incarnez Niko Bellic et déambulez dans les rues de New York, comme si vous y étiez. Mais la petite frappe que vous êtes, meilleure en maniement de gourdin qu’en photos souvenirs, doit se faire une place au soleil dans la pègre new-yorkaise, où tous les coups sont permis… Pour les allergiques aux mondes virtuels un peu trop réels, il reste le bon vieux fonds d’écran. Combien de salariés, partout dans le monde, s’imaginent l’espace d’un instant sur cet îlot paradisiaque qui orne le « bureau » de leur ordinateur, tandis que s’accumulent les tâches en retard, les appels et les mails urgents ? Il n’y a pas d’heure pour voyager devant son écran.