Bruno Spire : « Pas de volonté claire contre le sida »

Le plan gouvernemental contre l’épidémie de sida pour les cinq ans à venir sera bientôt publié. Selon le président de l’association Aides, Bruno Spire, les mesures pressenties sont insuffisantes.

Olivier Doubre  • 8 juillet 2010 abonné·es
Bruno Spire : « Pas de volonté claire contre le sida »
© PHOTO : FEFERBERG/AFP

Politis : De ce que vous
avez pu en connaître jusqu’à présent, quelles sont les grandes lignes du prochain plan gouvernemental contre le sida ?

Bruno Spire : D’après ce que l’on sait, il n’y aurait que de petites lignes, des mesurettes pour ­optimiser ce qui se fait déjà, et pas de direction générale. C’est ce que l’on redoute aujourd’hui : à la veille de la publication de ce plan par le ministère de la Santé, annoncée pour la mi-juillet, il semble qu’il n’y ait pas de définition générale des objectifs de la politique nationale de lutte contre l’épidémie de sida. Or, comme les grands organismes internationaux le disent, en premier lieu l’Onusida, nous sommes au moment d’un véritable changement de logiciel pour les politiques de lutte contre le sida. L’Onusida parle en effet de « projet 2.0 » : jusqu’ici, tout le monde raisonnait à la fois en termes de soutien des malades et de prévention, aujourd’hui on proclame la volonté – et la possibilité – d’arrêter l’épidémie.

Aujourd’hui, le soutien et la prévention se rejoignent puisqu’en traitant les personnes contaminées le plus tôt possible on peut leur éviter d’être malades s’il y a une prise en charge de qualité ; cela a aussi un impact global de santé publique en termes de prévention, puisque la personne sous traitement a un risque de transmission à autrui extrêmement faible en cas de rapport non protégé. C’est tout à fait nouveau. Certes, le risque n’est pas nul, et il y a toujours une petite probabilité de transmission du virus, ce qui signifie qu’individuellement il ne faut absolument pas recommander de ne pas se protéger ; mais, à l’échelle d’une population, on peut considérer que, si tous les séropositifs étaient dépistés et traités, on n’aurait quasiment plus, au bout d’une ou deux générations, de contaminations par le VIH sur la planète. C’est une façon complètement nouvelle de raisonner. Aussi, ce que nous reprochons à ce plan, ou du moins à ce que l’on en sait, c’est que cette grande ligne-là n’y figure pas. Il n’apparaît donc pas de volonté claire de tout faire pour interrompre l’épidémie.

L’un des points centraux
de votre critique vis-à-vis
du futur plan gouvernemental concerne la question du dépistage. Que demandez-vous ?

Nous verrons ce qu’il en sera dans la version finale du plan, mais ce que nous souhaitons, à Aides, c’est qu’il y ait une diversification des modes de dépistage. Aujourd’hui, le dépistage repose sur le volontariat, mais, par exemple, quand une jeune fille se rend chez son gynécologue pour une demande de contraception, il n’y a pas de proposition systématique de test. Nous demandons donc, chaque fois qu’il y a un recours aux soins, que le dépistage soit proposé. Mais surtout nous demandons, même si cela a l’air de gêner beaucoup de monde, y compris des alliés de la lutte contre le sida, notamment des alliés médecins, que l’on puisse faire du dépistage par des acteurs des communautés, et non plus seulement par les médecins. Il s’agit là d’une forme de dépistage plus rapide et plus simple à mettre en œuvre, qui, en pratique, ne demande pas un geste technique sous forme d’une prise de sang : ce sont des tests rapides, dont on sait qu’ils fonctionnent, qui permettent d’être en contact avec des populations qui prennent très souvent des risques.
Le dépistage communautaire donne une réponse certes moins complète que le dépistage classique, qui répond à beaucoup de questions (sida, hépatites, etc.), mais cette réponse est immédiate pour le VIH et elle est utilisée dans de nombreux pays africains aujourd’hui. Cela se passe comme un test de glycémie, par une petite piqûre au bout du doigt, et on a le résultat au bout de quelques minutes…

Pourquoi le pouvoir actuel semble-t-il aussi peu engagé en matière de lutte contre le sida ?

Je ne vous répondrai que ceci : nous, les associations de lutte contre le sida ou investies sur les questions de solidarité internationale, devions être reçues par Nicolas Sarkozy la semaine dernière à propos des critiques que nous avons formulées quant à l’insuffisance des grandes lignes qui devraient figurer dans le futur plan gouvernemental. Or, la veille au soir du rendez-vous prévu, les services de l’Élysée nous ont contactés pour nous dire que la rencontre était annulée. Vous voulez savoir la raison ? On nous a dit que le Président ne pouvait plus nous recevoir car il avait rendez-vous avec Thierry Henry, après l’échec de l’équipe de France à la Coupe du monde ! Voyez : il est possible d’arrêter une épidémie, il y a des millions de gens qui meurent du sida, mais les problèmes du football passent en premier…

En revanche, je ne mettrais pas Roselyne Bachelot dans le même sac, car elle est sans doute la seule à avoir une réelle volonté politique de s’investir sur la question du sida, même si elle n’a pas les clés en matière de budget puisque tout est entre les mains de Bercy. La ministre de la Santé se déplace, elle, dans les événements concernant le sida, ce qui n’était pas souvent le cas de ses prédécesseurs dans les gouvernements de droite. Elle a plutôt tendance à placer le sujet parmi ses priorités, alors que c’est loin d’être le cas pour le reste du gouvernement, notamment quand on voit que les questions de migrants ou d’usage de drogues sont traitées de façon catastrophique au ministère de l’Intérieur, ou bien par le très réactionnaire Étienne Apaire, le président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies (MILDT)… Pourquoi ? Je pense tout simplement que ce n’est pas rentable en termes électoraux, surtout s’il s’agit de populations homosexuelles, d’usagers de drogues ou de migrants. Ces responsables politiques sont tout simplement cyniques, ils savent bien que leur électorat se fout des populations touchées par l’épidémie.

Société
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