La cuisson améliorée fait recette

L’usage domestique du bois dans les pays du Sud accélère la déforestation. Mais celle-ci peut être réduite par l’amélioration des appareils de cuisson, action que l’ONG Geres a menée à grande échelle au Cambodge.

Noëlle Guillon  • 22 juillet 2010 abonné·es
La cuisson améliorée fait recette
© PHOTO : GERES

Un million. C’est le nombre de foyers améliorés pour la cuisson domestique vendus au Cambodge par le Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités (Geres). « Pas de révolution technologique, mais l’idée de s’appuyer sur des filières existantes et de les améliorer pour permettre des économies d’utilisation de combustible de 20 à 30 % », résume Jean-François Rozis, consultant technique pour l’association. L’affaire ne paie pas de mine et pourtant la problématique est de taille. Plus de 2 milliards de personnes dans le monde, gagnant moins de 2 dollars par jour, dépendent exclusivement du bois et de la biomasse, entendez des bouses animales, pour leurs besoins énergétiques. Et le premier poste de dépenses énergétiques de ces populations du Sud reste la cuisson alimentaire. Un constat aux multiples implications. Côté écologique, la moitié du bois produit sur terre sert à fournir de l’énergie. Sans gestion durable des forêts, la coupe étant le plus souvent illégale. Au Cambodge, la déforestation est évaluée sur les vingt dernières années à plus de 1,4 million d’hectares, et l’utilisation en énergie domestique, à 4,5 millions de tonnes de bois par an. Aux enjeux écologiques se greffent des questions sociales. Améliorer la cuisson domestique en jouant sur les rendements doit permettre de libérer du temps pour les femmes, bien souvent préposées à la collecte de bois. C’est aussi agir sur la santé. Un million et demi de femmes et d’enfants meurent chaque année de l’utilisation de ces cuiseurs en raison des fumées nocives qu’ils dégagent, d’après l’Organisation mondiale de la santé.

Un pot d’argile locale, une grille pour poser le combustible – qui n’existe pas dans les foyers traditionnels : cette chambre isolée permet de faire passer le rendement de combustion de 10 à 35 %. Plus qu’un défi technique, « l’enjeu était surtout de stabiliser le marché de ce type de cuiseur. Nous avons formé les producteurs, et nous contrôlons la qualité du produit avec un petit label industriel, afin de lutter contre la copie », explique Jean-François Rozis. La chaîne s’est mise en place tout naturellement.

Lancé fin 1997, le projet a déjà permis d’équiper la moitié des ménages urbains du Cambodge, soit 300 000 familles. Avec ce foyer, les producteurs gagnent un euro de plus par pièce, et l’investissement supplémentaire pour les clients est amorti par les économies sur le charbon de bois en trois mois – au total, près de 7,5 millions de dollars depuis 2003. Et plus de 500 000 tonnes de CO2 évitées, qui ont permis au Geres d’accéder au marché des « crédits carbone » : des particuliers ou des entreprises les achètent pour compenser leurs propres émissions, l’argent servant au développement du projet, et notamment au contrôle de la qualité des foyers améliorés. « La production est désormais bien établie, le marché est là, nous pourrons bientôt nous retirer » , se réjouit Jean-François Rozis. Ce gros coup de pouce a participé à donner de l’ampleur et de la solidité à ce projet original, comme il en a existé des centaines d’autres dans le monde, mais dont la pérennité n’a souvent pas excédé trois à cinq ans, faute d’une structuration suffisante du marché et des acteurs.

Le Geres se félicite ainsi de la sauvegarde de 5 000 hectares de forêts. Pour autant, l’impact réel sur la déforestation reste le plus difficile à évaluer. Ainsi, l’Agence française de ­développement (AFD), qui va commencer une évaluation scientifique des retombées économiques pour les ménages et de l’impact sur la santé de ce type de projets, a décidé de ne pas traiter ce point. « Certains bailleurs, comme la FAO, considèrent que l’impact de ce type de projets sur la déforestation reste mineur », tempère ainsi Jocelyne Delarue, évaluatrice à l’AFD.
Le Geres tente aussi l’aventure du charbon de bois « vert », produit par des communautés forestières sensibilisées à la nécessité de replanter les arbres après la coupe. Car pour Laurent Jarry, chargé de mission à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), et porteur au sein de l’association Chlorophylle d’un projet de foyers améliorés plus modeste au Niger, « il peut y avoir un effet pervers, en présentant un appareil de cuisson attractif, on peut inciter à accroître la consommation de bois ».

Aussi certaines ONG tentent-elles de diffuser des cuiseurs solaires ou des foyers à biogaz produits à partir de la fermentation de déjections animales. « Mais pour ces gens qui ne savent pas cuisiner autrement qu’au bois, c’est un changement culturel important, prévient Christian Sales, de l’unité biomasse-énergie au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui a développé les premiers foyers améliorés dans les années 1980. Certes, l’accessibilité à l’énergie est prioritaire, mais pas à tout prix. Les projets solaires ou au biogaz ne me semblent pas adaptés pour le moment. Il faudra sortir du bois, mais lentement. » C’est l’option adoptée par le Geres pour gagner la bataille de l’énergie domestique, cuiseur après cuiseur.

Écologie
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