La prospérité, c’est le vol !
L’avion est l’atout idéal d’une industrie du tourisme qui promeut un prêt-à-voyager bourré de clichés d’époque : partir loin, vite et souvent.
dans l’hebdo N° 1112-1114 Acheter ce numéro
Vous faites quoi, demain ? Sur mon ordi, j’ai un Lyon-Constantza à 199 euros. Si vous n’êtes pas décidés pour le Djakarta à 491 euros, on pourrait piquer une tête dans la mer Noire. Ou bien vous préférez Reykjavik ?
Un déballage de vols à l’étal, une valse d’étiquettes, des billets en vente flash comme du saucisson de pays. Et pour un téléphone mobile acheté, un Paris-New York en cadeau. Les Anglo-Saxons appellent ça la « junk mobility » – la mal-bougeotte, l’avionite compulsive en low cost, ce hard discount des tarmacs.
Mais un produit à l’image tellement saine ! La pub joue sur du velours : par temps de morosité économique, prendre la poudre d’escampette, c’est manifester son libre arbitre, une spontanéité valorisante, un mépris de l’immobilisme. Quand je veux, où je veux, et en trois clics !
Certes, l’industrie du tourisme n’a pas attendu la démocratisation de l’aérien [[Limitée cependant : selon le Worldwatch Institute, seulement 5 % de la population mondiale prend l’avion,
et surtout dans les pays industrialisés.]] pour débiter du voyage banalisé et formaté.
Mais l’air joue un rôle symbolique moteur. Voyager, nous dit-on, c’est partir loin (de son quotidien) : en avion, donc. Contraintes par la flexibilité, les vacances sont raccourcies et saucissonnées : alors, pas de temps à perdre. Pour coller à l’époque, les voyagistes ont inventé ces escapades « 2 nuits-3 jours ». Même le dépaysement valdingue. L’avion est bien souvent le redoutable vecteur d’une dépendance organisée par la machine touristique, fleuron de la mondialisation. En terre étrangère, quoi de plus rassurant que l’hôtel « à proximité » de la plage, les groupes de quasi-voisins de palier, les excursions « incontournables », le guide francophone, la cuisine « internationale » ? Derrière le vol, hameçon qui promet le « voyage », des opérateurs s’escriment à rentabiliser des formules standardisées. Au fait, les danseuses en sabots, c’était Bodrum ou Cádiz ?