Les îles empoisonnées

Une étude démontre que l’épandage de chlordécone aux Antilles est bien responsable d’une forte augmentation du risque de cancer de la prostate.

Patrick Piro  • 1 juillet 2010 abonné·es

Le scandale du chlordécone aux Antilles n’est pas près de s’éteindre (Voir Politis n° 1025.). L’étude épidémiologique Karuprostate, rendue publique par l’Inserm et dont les résultats étaient très attendus, confirme des années de soupçons : l’exposition généralisée de la population guadeloupéenne et martiniquaise à cet insecticide, utilisé aux Antilles de 1973 à 1993 contre le charançon du bananier, est responsable d’un taux exceptionnel de cancer de la prostate, sans équivalent dans le monde, et qui représente la moitié de tous les cancers dépistés dans ces îles. Car les hommes sont les plus sensibles à ce perturbateur endocrinien : ils ont 80 % de risques en plus de développer un cancer de la prostate que la moyenne, et même jusqu’à 520 % en cas de combinaison de plusieurs facteurs adverses. En septembre 2007, le très médiatique cancérologue Dominique Belpomme avait provoqué la réprobation des autorités en dénonçant le « désastre sanitaire » du chlordécone : les faits lui donnent aujourd’hui raison.

Découverte très préoccupante : plus que l’exposition directe dans les champs, c’est la consommation de produits agricoles locaux qui agit. Car les sols et les eaux contaminés relâchent lentement le poison dans les cultures. Plus de 1 000 nouveaux cas de cancers de la prostate sont dépistés chaque année en Guadeloupe et Martinique !
Même si le chlordécone ne les explique pas tous, l’étude souligne l’inexcusable laxisme des autorités françaises, qui ont autorisé l’usage du pesticide aux Antilles jusqu’en 1993, sous la pression des grands propriétaires de bananeraies, alors que sa toxicité était notoire depuis des années. Il était interdit d’utilisation depuis 1976 aux États-Unis, puis partout dans le monde
– sauf dans ces îles.

Après l’esclandre Belpomme, le gouvernement avait lancé en 2008 un « plan chlordécone » destiné à établir une cartographie de la pollution, à la traiter si possible et à renforcer la surveillance sanitaire de la population. La principale mesure reste cependant le contrôle du taux de chlordécone des aliments afin de réduire l’exposition de la population. Depuis, moins de 2 % des produits végétaux et animaux terrestres commercialisés auraient dépassé la teneur autorisée. Mais qu’en est-il, malgré les avertissements des autorités, de la consommation domestique (très courante) des cultures potagères et de la pêche familiale ? Car les poissons et les crustacés sont aussi contaminés, par le ruissellement… Le plan chlordécone, qui s’achève en 2011, sera prolongé jusqu’en 2013 : indis­pensable mais dérisoire quand on sait que l’imprégnation des sols par la molécule n’aura diminué de moitié que dans six siècles !

Écologie
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