L’été du divorce

L’affaire Bettencourt-Woerth n’a pas fini d’empoisonner la sarkozie. Elle creuse le fossé entre les Français entre le chef de l’État, confronté désormais à la défiance de son propre camp.

Michel Soudais  • 22 juillet 2010 abonné·es
L’été du divorce
© PHOTO : AFP

Cette fois, Nicolas Sarkozy a bien perdu la main. Rien ne va comme il veut. Déjà contraint d’accepter la démission de deux ministres quand il ne voulait pas donner l’impression de céder à la pression médiatique, Nicolas Sarkozy s’était résolu à dire « sa » vérité aux Français le 12 juillet, lui qui s’était juré de ne plus s’exprimer, comme ses prédécesseurs, le 14 juillet, une date où les Français ont la tête ailleurs, expliquait-il. Du moins espérait-il que son tête-à-tête sur France 2 tourne la page des affaires Woerth-Bettencourt. Encore raté. Non seulement le président de la République n’a pas convaincu, mais sitôt sa séance d’hypnotisme terminée, les affaires continuaient.

Pourtant, avec la publication à la veille de l’entretien présidentiel d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) dédouanant Éric Woerth de toute intervention dans le dossier fiscal de Liliane Bettencourt, l’exécutif et la majorité avaient cru à la fin de leurs ennuis. Face à David Pujadas, Nicolas Sarkozy y voyait la preuve que son ministre était victime de « calomnies » . Éric Woerth s’était dit « soulagé ». Quand à François Fillon, il clamait que c’était un « tournant » . « Désormais, les imprécateurs savent qu’ils ne gagneront pas » , affirmait le Premier ministre.
Une semaine plus tard, cette offensive n’est plus qu’un épisode du feuilleton de l’été. Feuilleton qui se poursuit avec son lot de révélations quotidiennes embarrassantes pour les sarkozystes : mise en cause d’Éric Woerth dans la vente d’une parcelle forestière comprenant un hippodrome à Compiègne, dans son fief de l’Oise ; publication d’un mémo tendant à accréditer un financement illicite de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par les Bettencourt ; déposition du conseiller financier de l’héritière de L’Oréal affirmant qu’Éric Woerth, alors ministre du Budget, est intervenu pour l’emploi de son épouse ; soupçons de conflit d’intérêts contre le secrétaire d’État à l’Emploi, Laurent Wauquiez, pour un dîner londonien où il a récolté des fonds pour son microparti…

L’UMP, qui se rassurait en pensant que les Français en vacances ne suivraient pas tous les rebondissements d’une affaire compliquée, découpée en quatre enquêtes préliminaires et un supplément d’information, découvre que les informations distillées importent moins que la petite musique lancinante de leur évocation et l’effet qu’elle produit dans l’opinion. Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, s’avoue « sérieusement contrarié par le climat général » . Les sifflets essuyés par Éric Woerth à l’arrivée du Tour de France à Ax-les-Trois-Domaines témoignent d’une ambiance explosive. Au-delà du ministre du Travail, qui s’est présenté affaibli, le 20 juillet, devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale pour l’examen de la réforme des retraites, c’est toute la Sarkozie qui est touchée.

À commencer par celui qui l’incarne, au sommet. Nicolas Sarkozy, adepte du storytelling , misait beaucoup sur cette technique de communication politique qui consiste à scénariser l’actualité pour rebondir après la défaite cinglante des régionales. L’Élysée, comme l’a révélé Libération (17 juillet), avait prévu un budget annuel de 120 millions d’euros d’ici à 2012 pour sa campagne marketing. Mais c’est un récit imprévu qui s’écrit, dévoilant, au-delà des aspects anecdotiques qui le nourrissent, les liens entre le monde de l’argent et celui de la politique, le financement de la vie politique et le fonctionnement de notre République. À des années-lumière de la « République irréprochable » vendue en 2007 par le candidat Sarkozy dans ses spots publicitaires, quand il disait vouloir des « nominations irréprochables » , un Parlement qui ait « davantage de pouvoir » , des ministres « moins nombreux, quinze au maximum » , qui « rendent des comptes et s’engagent sur des résultats ».

« La dimension “affaire” peut passer, mais l’effet d’image, lui, demeurera » , pronostique Marcel Gauchet, dans un entretien au Monde (18 juillet). Pour l’historien et philosophe, cette dimension est « secondaire par rapport à une remise en question plus diffuse et plus large du pouvoir sarkozyen » . Un pouvoir dont le projet de « banalisation libérale de la France » s’effondre, pris à contre-pied par la crise. Et dont le dilemme, cet été, pourrait se résumer en une question : comment faire accepter la réforme des retraites et les sacrifices d’une politique de rigueur auprès de Français plus que jamais convaincus de vivre dans une société de connivences où la loi n’est pas la même pour tous ?

Le problème pour le pouvoir est d’autant plus complexe que son discrédit atteint un seuil critique. Le fossé qui le sépare du peuple n’a jamais été aussi large. Sondage après sondage, la cote de popularité du chef de l’État s’effondre. Signe de la déliquescence du pouvoir, les élus de la majorité manifestent de multiples manières leur mauvaise humeur. Après les sénateurs, qui n’ont adopté la réforme territoriale qu’après l’avoir profondément vidée de sa substance, les députés UMP, alignés sur la position du Medef, ont voté contre un amendement du gouvernement instituant le dialogue social dans les toutes petites entreprises. Cet acte de défiance contre le ministre qui défendait ce texte négocié avec la CFDT et les petits patrons et artisans, un certain Éric Woerth, est aussi un avertissement adressé à Nicolas Sarkozy.

Conduits par l’ambitieux Jean-François Copé, qui avait convié ses troupes sous le soleil de Maussane, dans les Alpilles, le 10 juillet, pour préparer le programme de 2012 pendant que Nicolas Sarkozy travaillait à Paris à son intervention télévisée, les députés ne défient pas encore le Président, mais ils ne croient déjà plus à sa toute-puissance. Comme s’ils doutaient de sa capacité à rebondir. À l’image de M. Copé, convaincu qu’il n’y a guère à attendre d’un remaniement à l’automne, les remaniements n’ayant « plus le même impact » depuis que Nicolas Sarkozy a « fait le choix de priver les ministres de pouvoir » . Récemment, les députés UMP ont réélu sans difficulté au bureau politique de leur groupe leur collègue du Val-de-Marne, Marie-Anne Montchamp, pourtant porte-parole de République solidaire, le tout nouveau mouvement de Dominique de Villepin. Et elle assure ne plus compter les messages de soutien de parlementaires « non alignés ».
Cela permettra-t-il aux députés villepinistes de constituer un groupe à l’Assemblée ? Ils ne sont qu’une dizaine, mais réfléchissent très sérieusement à cette éventualité, pour laquelle ils cherchent le concours de deux élus du CNI et des non-inscrits. Parmi eux, Nicolas Dupont-Aignan et les deux députés du MoDem, Jean Lassalle et… François Bayrou. En attendant, Dominique de Villepin a déclaré le 14 juillet que les députés appartenant à son mouvement ne voteront pas « en l’état » la réforme des retraites, qui n’est « ni équilibrée dans son financement ni juste ». Sévère sur la réaction du chef de l’État à l’affaire Bettencourt-Woerth, l’ancien Premier ministre rappelle aussi que le « rôle [d’un président de la République] n’est pas de blanchir tel ou tel ami » mais d’être « le garant de l’intérêt général », « un arbitre ».
Le feuilleton de l’été 2010 aura des suites.

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