Quand le vieux pays noir tourne au vert
Vingt ans après la fermeture des mines, le bassin du Nord représente une mémoire culturelle et industrielle. Des citoyens œuvrent à la sauvegarde de ce patrimoine et à la réappropriation du territoire. Une dimension écologique s’y ajoute, tournée vers la préservation des sites et des espèces.
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Politis : Qu’est-ce qui a présidé à la volonté d’inscrire le bassin minier au patrimoine mondial de l’Unesco ?
Catherine O’Miel : C’est à l’origine une étude du conseil régional réalisée en 2001 sur le bassin minier et ses lieux de mémoire, outre des espaces emblématiques comme Lewarde, les fosses 11/19 et Wallers-Arenberg. Il s’agissait de ne pas créer uniquement des musées de la mine, mais de réfléchir au devenir de ces grands sites. La question du « réusage » est importante. On ne se la pose pas pour une cathédrale. Sur ce type de lieux, oui. Ils risquent de mourir. Or, il y a là un paysage culturel et industriel, avec une empreinte humaine particulièrement importante sur le territoire.
Quelles sont les démarches ?
C. O’M. : C’est un travail qui peut s’étirer sur dix ans. L’association Bassin minier uni a choisi de mobiliser les compétences au sein du territoire pour entraîner dans l’aventure le plus grand nombre d’acteurs, en impliquant la société civile, le tissu associatif, les établissements scolaires sur le thème de la réappropriation du territoire et de la collecte de la mémoire.
Quel est le bien proposé à l’inscription ?
C. O’M. : La surface s’étend sur plus de 3 900 hectares. 87 communes sont concernées. La zone tampon s’étend sur plus de 18 000 hectares et concerne 124 communes. Le projet rassemble 17 fosses, dont la fosse de la Sentinelle, la fosse Mathilde, la fosse 1 bis de Nœux-les-Mines ou la fosse 7 de Barlin. Ce sont aussi 21 chevalements béton ou métalliques, 51 terrils, 54 km de cavaliers, ces chemins de fer reliant les terrils, 124 cités minières, 46 écoles, 26 édifices religieux, 24 équipements de santé de la Société de secours minière, 6 équipements culturels ou sportifs, et les gares de Lens, de Douvrin et de Fresnes-sur-Escaut.
Cette entreprise n’est-elle pas aussi un pari face aux promoteurs ?
C. O’M. : C’est surtout un pari sur l’identité du territoire, avec cet aspect particulier du paysage. Le danger réside dans sa banalisation. Il existe 600 cités minières sur le territoire, et beaucoup préféreraient raser ce patrimoine pour y installer des constructions plus banales, comme les lotissements. Il faut préserver ce qui demeure encore aujourd’hui un habitat social, mais sans aller jusqu’à figer l’ensemble du territoire de sorte qu’il ne s’y passe plus rien. Le débat se tient donc avec les bailleurs sociaux, afin qu’ils protègent ce patrimoine dans leurs rénovations et en dehors de tout ordre comptable.
Quels sont les enjeux politiques de cette inscription ?
Jean-François Caron : Il s’agit d’un changement d’image du territoire, il s’agit aussi d’insuffler de nouveaux sentiments aux habitants. Le paysage urbain témoigne de mineurs pris en charge tout au long de leur existence, au sein de cités minières qui comprennent les écoles, les habitats, les aires de jeux, les équipements sportifs, les églises, les centres de soin. Dans une certaine mesure, c’est une population qui a été placée sous tutelle, coupée du monde extérieur, de la vie associative, entièrement tournée vers la vie au travail. La fin de toutes les mines a provoqué un état de choc, créé beaucoup de chômage. Et la population n’a pas été armée pour répondre aux enjeux du XXIe siècle, pour s’ouvrir au monde. Ce qui induit parfois des réactions dramatiques. Ce n’est pas un hasard si le Front national obtient généralement 30 % aux municipales. Dans ce contexte, Bassin minier uni se veut une initiative portée par la reconnaissance d’une histoire, par le désir de se projeter dans l’avenir, à partir du moment où l’on rend aux gens une certaine fierté. Relever la tête, c’est vrai à titre individuel et collectif. D’autant que les gens du bassin minier et du Nord en général drainent une image très négative, figée dans la grisaille, l’image d’un peuple attardé. C’est donc tout un travail sur l’estime de soi, sur la faculté de retrouver la capacité d’entreprendre.
Au-delà de cette ambition, même si cela n’a pas été la priorité, il existe un potentiel touristique à développer, avec un tourisme de science, de conscience, autour de l’histoire minière. La création du Louvre-Lens pourrait devenir un attrait supplémentaire, capter un autre public. Au reste, il n’est pas sûr que le territoire ait osé proposer le Louvre-Lens s’il n’y avait eu au préalable cette démarche de Bassin minier Unesco.
Peut-on parler d’une région verte en marche ?
J.-F. C. : C’est d’abord une région qui a beaucoup d’atouts. Et les handicaps d’hier sont aujourd’hui des avantages. La Chaîne des terrils, créée en 1988, en rend compte. À l’époque, 97 % de la population voulait tout raser. Les terrils sont maintenant un réseau de traverses sans équivalent, des lieux naturels de promenades, de sports, de loisirs. Les cités minières, considérées autrefois comme une honte, sont perçues différemment. Ce sont 70 000 logements sociaux construits à l’horizontale, alors que partout ailleurs ont été créées des barres et des tours. En termes d’espace, la région est ainsi plus aérée. Et l’inscription au patrimoine de l’Unesco lui donnera un peu plus de prestige.
Concrètement, qu’est-ce qu’une inscription peut apporter au bassin minier ?
C. O’M. : Nous serons attentifs aux transformations et aux rénovations du patrimoine et du paysage minier dans la partie présentée à l’inscription. Dans la zone tampon, il s’agit d’insister sur la qualité paysagère et sur les zones de vue. Il n’est pas question de voir se construire un grand immeuble au pied d’un terril. C’est un tout. Il s’agira aussi de travailler en collaboration avec les collectivités locales propriétaires de ce patrimoine.