« Une course à la production de vaccins »

Rapporteur d’une étude d’un office parlementaire sur la gestion des pandémies, Marie-Christine Blandin* rappelle l’intérêt commercial des maladies émergentes et dénonce l’absence d’expertise indépendante.

Noëlle Guillon  • 15 juillet 2010 abonné·es
« Une course à la production de vaccins »
© PHOTO : MEDINA/AFP *Sénatrice Verte du Nord.

Politis : L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a publié le 24 juin un rapport intitulé Mutation des virus et gestion des pandémies, dont vous êtes l’une des deux rapporteurs. Que révèle ce texte ?

Marie-Christine Blandin : Le champ d’étude était bien plus vaste que celui des deux commissions d’enquête lancées en parallèle par l’Assemblée nationale et le Sénat sur la grippe A (H1N1) (voir encadré). Le rapport des députés [qui sera présenté le 15 juillet, NDLR] porte sur le coût de l’opération. Celui du Sénat, dont la parution est prévue le 28 juillet, s’intéresse aux liens entre intérêts pharmaceutiques et pouvoir décisionnel. Le rapport de l’OPECST est consacré aux mutations de virus, dont la grippe. Notre rapport est le résultat d’une étude d’un an pour décrypter un mécanisme, celui qui s’est mis en œuvre dans un climat de surexcitation et de fébrilité depuis l’arrivée du Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) et de la grippe aviaire H5N1. Ce climat a engendré une course aux virus émergents et à la production de vaccins.

La pandémie de grippe A s’est accompagnée d’une violente polémique. Est-il possible de faire la lumière sur cette affaire, en particulier concernant la collusion entre pouvoirs publics et industries pharmaceutiques ?

Les rapports de l’Assemblée et du Sénat iront encore plus loin, mais le rapport de l’OPECST établit déjà que ce climat de surexcitation entourant l’émergence de nouveaux virus ne s’est pas limité à la sphère médicale et scientifique. Le virus H1N1 a été identifié le 24 avril au Mexique. Ironie du sort, le 9 mars, Nicolas Sarkozy y avait signé pour 100 millions d’euros un contrat de construction d’une usine de vaccins pandémiques Sanofi.

Le principe de précaution a été invoqué à la fois par le gouvernement, pour justifier la vaccination, et par les sceptiques de la vaccination, pour mettre en cause la fiabilité des vaccins. Ce principe est-il manipulable ?

Il faut distinguer le principe de précaution « littéraire » du principe de précaution voté par la Constitution. En ce qui concerne les virus, ce dernier préconise de diligenter des recherches pour aider à la prise de décisions. Cela n’a pas été appliqué, puisque les commandes de vaccins ont été faites dès le mois de juin. Quand Roselyne Bachelot invoque le principe de précaution « littéraire », c’est un choix politique. Respectable quand il s’agit de protéger les Français en faisant le pari du pire. Mais son choix, en l’occurrence, n’a pas été crédible au vu de sa politique générale en matière de santé : en parallèle de la campagne de vaccination, on a vu fermer des lits de grands brûlés, des places en réanimation et en maternité… Même face à la grippe A le principe de précaution n’a été invoqué que pour justifier la commande de vaccins, alors que le volet clinique, augmentation du personnel d’accueil aux urgences et du nombre de lits pour soigner les malades de la grippe, a été concédé du bout des lèvres.

Le pire semble avoir été évité, mais les virologues restent prudents. Qui écouter sur les risques ? Y a-t-il des experts indépendants ?

Le Haut Conseil de santé publique n’était pas à jour sur les déclarations d’intérêts des experts entendus par Roselyne Bachelot. Au niveau international, les deux cents experts consultés par l’OMS n’ont fait entendre qu’une voix unique. Or, dans les deux cas, on remarque qu’il s’agit de virologues ou d’épidémiologistes dont ­certaines contributions sont financées par des fonds privés. Le ­désengagement de l’État dans le financement de la recherche publique en France renforce les conflits d’intérêt pour les chercheurs. Par exemple, le professeur d’immunologie Jean-François Delfraissy, directeur de l’Institut des maladies infectieuses, n’a toujours pas reçu les fonds publics promis par Roselyne Bachelot pour ses recherches sur la grippe A.
Mais l’indépendance ne suffit pas, il faut aussi que les experts proviennent de domaines différents. Il aurait fallu aller voir des spécialistes de santé publique et de gestion de crise, ce que Roselyne Bachelot n’a pas fait. L’OPECST en a auditionné certains, comme Patrick Lagadec, directeur de recherche en économie à Polytechnique. Enfin, le Grenelle de l’environnement prévoyait la mise en place d’une instance indépendante de l’expertise. Elle n’existe toujours pas.

« La transparence est devenue une obligation », avertit le rapport. Comment l’organiser ?

Il existe des outils dont il faut savoir user. Le ministère devrait faire des communiqués réguliers et actualisés et rendre publiques les saisines auprès d’instances comme le Haut Conseil de la santé publique ainsi que ses réponses. Il est absolument primordial d’associer les citoyens au débat public. Les associations de malades et de médecins généralistes auraient dû être entendues.

Société
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