Une succession mal engagée

À en juger par les premiers dérapages, le duel entre Marine Le Pen et Bruno Gollnisch
pour la présidence du parti d’extrême droite menace de virer à l’aigre.

Michel Soudais  • 15 juillet 2010 abonné·es
Une succession mal engagée
© PHOTO : SAGET/AFP

Tant de fois annoncée, mais toujours reportée jusqu’ici, la bataille pour la succession de Jean-Marie Le Pen a commencé. Le duel oppose Marine Le Pen et Bruno Gollnisch, la fille et l’ex-« dauphin » de l’inamovible patron du FN, 82 ans et cinq candidatures à la présidentielle depuis 1974. Officiellement, ce n’est que le 1er septembre que le Front national ouvrira la campagne interne en vue du vote des adhérents qui les départagera lors du XIVe congrès, les 15-16 janvier 2011. Mais la compétition entre les deux prétendants a déjà commencé.
En interne d’abord. Pour pouvoir se présenter, chaque prétendant devait obtenir 20 parrainages de secrétaires départementaux. Craignant que ces cadres, nommés par la direction du parti, soient dissuadés de lui accorder leur parrainage, par crainte de représailles, Bruno Gollnisch a obtenu l’anonymat des signataires. Il en a obtenu 30 contre 68 pour Marine Le Pen. Ce qui traduit un rapport de force très favorable à l’élue du Nord-Pas-de-Calais.

La bataille s’est déportée ensuite sur Internet et dans la presse. Un « site d’information », nation-presse.info, lancé par Louis Aliot, ancien secrétaire général du FN et proche de Marine Le Pen, publie des tribunes de figures du parti lepéniste favorables à cette dernière. Comme Dominique Martin, directeur de campagne de… Bruno Gollnisch aux régionales, signataire d’un hommage sans équivoque à celle qui, selon lui, « incarne la nouvelle génération qu’attendent les Français » . Le site recense aussi les articles de presse montrant que « Marine est l’avenir du FN » . Moins mesuré, avenir-marine.com, le blog d’un militant nantais créé en mai, assure qu’ « à l’inverse » de Dominique Strauss-Kahn et de Nicolas Sarkozy « Marine Le Pen a clairement et évidemment ses racines en France » et « serait une candidate clairement identifiée “100 % de souche” ».

Les anciens du FN ne sont pas les derniers à prendre part à cette bataille. Très actifs sur Internet, ils ont lancé en avril un site de soutien intitulé « Gollnisch président », ce dernier étant considéré comme « le seul à pouvoir fédérer l’ensemble de la droite nationale » , alors que sa concurrente est accusée de conduire une « chasse aux sorcières […] à l’intérieur de l’appareil frontiste ». « Marine, tu n’as pas encore gagné », avertissent-ils. Plusieurs dérapages ont déjà été recensés dans la blogosphère. Un site d’étudiants catholiques « résolument pas démocrates » apporte son soutien à Gollnisch « traîné dans la boue » par les « médias sionisés » qui déroulent « le tapis rouge » devant Marine Le Pen. Qui est accusée d’ « accointances judéomanes » par Marc George, un proche de Dieudonné mais néanmoins soutien de Gollnisch, sur son site medialibre.eu.

Est-ce pour parer à ce début de campagne nauséabond ? Jean-Marie Le Pen lui-même est entré dans l’arène pour afficher un franc soutien à sa fille, pour lui succéder et se présenter à l’Élysée en 2012. Le président du FN a choisi le jour où étaient officialisées les candidatures de Marine Le Pen et Bruno Gollnisch pour enfreindre sa neutralité. Dans une interview croisée avec sa fille, publiée le 30 juin dans France-Soir , il déclare que celle-ci « a les qualités nécessaires et [il] espère suffisantes pour assumer demain les fonctions auxquelles elle aspire : d’abord la présidence du Front national, ensuite une candidature à l’Élysée ». Voyant chez sa fille de 41 ans « une chance pour la France » , il estime qu’elle « a les qualités physiques, mentales, psychologiques, intellectuelles, affectives, caractérielles nécessaires ».

Quand Bruno Gollnisch ne ferait qu’« un très bon ministre des Affaires étrangères » . À quoi Marine Le Pen ajoute que cet « homme extrêmement ­respectable dont [elle aura] besoin » est « un prof d’université, assez loin du terrain » . « Le problème de Gollnisch, c’est que ses amis sont extérieurs au Front, parce qu’ils l’ont quitté », complète son père, qui énumère Carl Lang (Parti de la France), Jacques Bompard (Ligue du Sud), Bernard Antony, sans oublier « son ami » Pierre Sidos, opposant de toujours au FN. Pour Jean-Marie Le Pen, « Bruno veut organiser, comme il dit, le retour au bercail de toute l’extrême droite » (sic). Tandis que Marine note comme « un fait » que « ceux qui soutenaient Gollnisch et ont quitté le FN sont tous allés se vendre à l’UMP ». Ambiance.

En réplique, Bruno Gollnisch a convoqué une conférence de presse pour dire qu’il aurait « préféré que [Jean-Marie Le Pen] restât un arbitre ». Et qu’il est « contradictoire » d’être « accusé pêle-mêle de vouloir agréger les groupuscules d’extrême droite et de vouloir aussi à tout prix des alliances avec l’UMP » . Son désir de rassembler les déçus du lepénisme ne viserait qu’à compenser la « faiblesse en cadres » du FN, note-t-il en constatant malicieusement que « les anciens partisans de Bruno Mégret sont nombreux également dans l’entourage de Marine Le Pen ».

Ceux qui, au sein du FN, rêvaient d’un modus vivendi – la présidence du mouvement à Gollnisch, la candidature présidentielle à Marine Le Pen – devront choisir. Ce sera lui ou elle. Un partage des rôles serait « une erreur très grave » , estime la vice-présidente du FN, qui se sent « dans une précampagne présidentielle ». « Sous la Ve République, un parti, c’est une écurie présidentielle. » « Je n’envisage pas d’être candidate en 2012 si les adhérents ne me font pas confiance » au préalable lors de l’élection du prochain président du FN, a-t-elle prévenu devant la presse parlementaire.

Bruno Gollnisch est dans la situation de quelqu’un qui essaierait de « voler sa gamelle à une famille de pitbulls. Les dés sont pipés » , analyse Carl Lang. Cet ancien secrétaire général du FN, désormais à la tête d’un Parti de la France, vient de créer avec deux autres formations animées par d’anciens membres du FN, la Nouvelle Droite populaire de Robert Spieler et le Mouvement national républicain (MNR) d’Annick Martin, un Comité de liaison de la résistance nationale. Pour fédérer un pôle alternatif à Marine Le Pen, quelle que soit l’issue du congrès de succession.

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