La plume dans la plaie
Dans « Conjurer le silence », l’écrivaine américaine Alice Walker nous entraîne dans ses voyages militants à travers le Rwanda, le Congo, Israël et la Palestine.
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Alice Walker. Ce nom est moins connu que le titre de l’œuvre qui a rendu célèbre celle qui le porte : la Couleur pourpre . Un roman qui a décroché l’American Book Award et, surtout, le Prix Pulitzer de la fiction l’année suivant sa parution, en 1982, faisant de cette auteure la première Afro-Américaine à recevoir cette récompense. Trente ans après avoir publié ce roman épistolaire dénonçant l’oppression raciale et sexuelle subie par les femmes noires aux États-Unis, Alice Walker a accompagné les associations féministes américaines Women for women International et Code Pink à travers le Rwanda, le Congo oriental, la Palestine et Israël. Elle rend compte de ces voyages dans Conjurer le silence, son carnet de route militant.
Au Rwanda, Alice Walker rend hommage aux corps « enterrés avec soin » dans des fosses communes. Au Congo, elle fait la connaissance de femmes que les tueurs de Kigali ont continué à persécuter. La majorité de l’ouvrage est consacrée à sa rencontre avec des Palestiniens de Gaza. Son fil rouge : l’oppression. Leur douleur lui semble familière et lui rappelle les siennes, lorsque les Blancs harcelaient les Noirs d’Amérique. « La plupart des Américains sont mal informés sur ce conflit interminable, écrit-elle, beaucoup de gens sont perplexes, aujourd’hui, et se demandent pourquoi l’État d’Israël suscite plus d’intérêt, reçoit plus d’argent et intéresse plus les médias que, au hasard, mon État natal, la Georgie… »
Conjurer le silence n’est pas le témoignage de n’importe quelle Américaine : née en 1944, Alice Walker s’engage dès les années 1960 dans le Mouvement des droits civiques, courant pacifiste pour l’égalité des droits, et dont Martin Luther King était la figure emblématique. Attirée tôt par l’écriture, elle a toujours puisé dans ses rencontres une source d’inspiration. Auteur prolifique et éclectique, elle travaille tous les genres – poésie, conte, roman, essai – pour traduire ses convictions. La liberté individuelle et le droit d’expression, l’écologie ou encore la spiritualité sont devenus ses thèmes de prédilection. « De retour chez moi, je songeai qu’il fallait que je parle de cette femme – elle viendra d’ailleurs aux États-Unis pour raconter son histoire. Elle savait qu’il était important de parler, de parler de l’innommable, et c’est grâce à elle que je suis aujourd’hui capable de partager le récit qui suit » , écrit-elle à propos de Generose, dont le village est sous la coupe de meurtriers chassés du Rwanda par l’armée tutsie. « Je tombai malade sous le poids de cette histoire »…
C’est la grande implication de cette femme dans ses voyages et son récit, ainsi que la part de poésie qu’elle insuffle à ces vingt-quatre chapitres sur des « destins brisés » qui ont convaincu les éditions Rue de l’Échiquier (voir encadré) d’en publier une traduction. À propos du conflit israélo-palestinien, l’auteure écrit : « Je suis convaincue que la seule solution est un État commun. » Ce qui explique son choix d’avoir accolé Israël-Palestine en titre, comme s’il s’agissait déjà d’un seul État, alors que son voyage s’est limité à Gaza. Certains pourront reprocher à Alice Walker son côté parfois « fleur bleue ». Pourtant, même en évoquant la douleur des autres, c’est son espoir d’un monde meilleur qu’elle parvient à partager.