La rigueur tuera la reprise !
dans l’hebdo N° 1115 Acheter ce numéro
Les politiques de « consolidation budgétaire » qui se déploient en Europe prétendent tout à la fois réduire les déficits et relancer la croissance. Elles entendent restaurer la « confiance » des agents économiques en réduisant les charges de la dette publique, qu’ils n’auraient plus à supporter à l’avenir. Les ménages réduiraient leur épargne pour consommer. Ceux qui épargnent sur les marchés, sachant que les États redeviennent solvables, abaisseraient la prime de risque qu’ils exigent pour acquérir des emprunts d’État. Les entreprises disposeraient alors de taux d’intérêt plus bas et se remettraient à investir. Tels sont les arguments présentés par Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Jean-Claude Trichet, président de la BCE, pour expliquer les cures d’austérité qu’ils proposent d’administrer aux États membres, dès les lois de finance pour 2011 qu’ils préparent cet automne. Ces politiques ont malheureusement peu de chance d’aboutir, si l’on examine minutieusement la pertinence des arguments qui les justifient.
Premier type d’arguments, les ménages rationnels, anticipant un désendettement de l’État, réduiraient-ils leur épargne de précaution ? Se mettraient-ils à consommer l’intégralité du supplément de revenu qu’ils prévoient de ne pas consacrer par l’impôt aux charges de l’État, conformément aux prédictions de la théorie de l’équivalence ricardienne ? Les dirigeants des institutions européennes oublient simplement qu’il existe plusieurs catégories de ménages. Alors que les inégalités de revenus explosent, l’écrasante majorité des ménages, déjà endettés, subissent une stagnation, voire une baisse, de leur pouvoir d’achat. Quant aux 10 % des ménages les plus riches, ceux qui, précisément, peuvent épargner, ils profitent des intérêts de la dette (ils sont les véritables créanciers de l’État) et des déficits qui ont servi à financer les « dépenses fiscales » dont ils ont été les premiers bénéficiaires. Le surcroît de revenus disponibles qui leur est versé sous formes de dividendes ou de cadeaux fiscaux n’a aucunement accru leur consommation, déjà saturée. Outre qu’elles ont amenuisé les recettes et creusé les déficits en ne provoquant pas l’effet annoncé sur la croissance, les dépenses fiscales ont stimulé la spéculation immobilière et l’épargne. Celle-ci est devenue excédentaire, dès lors que les entreprises ne la mobilisent pas pour l’investissement. Cette situation est précisément à l’origine de la menace déflationniste qui plane plus que jamais sur l’Europe.
Le deuxième type d’argument est inspiré de la théorie de l’effet d’éviction. Compte tenu de la prime de risque exigée par les marchés, les besoins de financement public exerceraient une pression à la hausse sur les taux, évinçant l’investissement privé. La consolidation budgétaire atténuerait par conséquent cette tension et contribuerait ainsi à relancer l’investissement. Cette théorie est tout aussi erronée que la précédente. Outre que l’intervention de la Banque centrale pour racheter une partie de la dette souveraine est susceptible de détendre les taux sur les emprunts d’État, les taux auxquels les entreprises privées peuvent se financer sont déjà à leur plus bas niveau. Il est même probable que l’Europe soit tombée dans une trappe à liquidité. Les agents préfèrent la liquidité aux titres face à l’incertitude. Les banques, suspicieuses les unes envers les autres au vu de leurs bilans, qu’elles savent loin d’être nettoyés, ne se prêtent plus sur le marché interbancaire. Les taux ne baissent plus malgré les injections répétées de la BCE. Ces bas taux n’ont aucunement relancé l’investissement privé, atone, compte tenu de la faiblesse des carnets de commandes. L’investissement dépend moins que jamais du coût du capital, mais de la demande, que les politiques d’austérité vont malheureusement casser.
Dans ces conditions, l’Union européenne commet une grave erreur en se privant de l’arme budgétaire. Malgré des déficits structurels qui restent néanmoins soutenables, cette arme doit plus que jamais être dégainée de façon contracyclique, à condition, naturellement, de ne pas en gaspiller les munitions dans d’inutiles dépenses fiscales. Au contraire, les cures d’austérité que le Conseil, la Commission et la BCE ont choisi d’administrer menacent de tuer dans l’œuf la reprise.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.