Les étudiants, ces gêneurs…
La plus grande cité universitaire de France, à Antony, est en pleine phase de démolition. Des collectifs de résidents dénoncent des choix politiques inadaptés et se mobilisent pour la réhabilitation des logements.
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Imaginez : onze hectares de terrain à Antony, dans les Hauts-de-Seine, face au parc de Sceaux, à proximité du RER B et à vingt minutes de Paris. Des espaces verts, des pistes cyclables qui rejoignent la ville, des équipements sportifs et culturels, un centre médical et dentaire, une salle de projection, des groupes d’étude et des bibliothèques, un restaurant universitaire… Et, surtout, sept bâtiments d’une capacité de plus de deux mille logements, dont le loyer minimum s’élève à 137 euros par mois ! Ce lieu, c’est la résidence universitaire Jean-Zay d’Antony (RUA), la plus grande de l’Hexagone, qui représente 16 % du logement social étudiant en Île-de-France.
C’est du moins la description que l’on pouvait donner d’elle il y a encore un an. Après un transfert de propriété effectué en janvier 2009, le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Versailles a dû céder ses droits, gratuitement, à la Communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre (CAHB), dont dépend la ville d’Antony. Cela, grâce à la « loi relative aux libertés et responsabilités locales » présentée en 2004 par Patrick Devedjian, alors ministre délégué aux Libertés locales, et amendée en 2007. Cette loi stipule : « Les biens appartenant à l’État et affectés au logement des étudiants sont transférés […] aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale qui ont demandé à [en] assumer la charge […]. Ce transfert se fait à titre gratuit et ne donne lieu au paiement d’aucune indemnité. » Mettant en avant la « vétusté » des infrastructures, la CAHB se lance alors dans un projet bien particulier de remise aux normes.
Tout commence en juin 2009. Un panneau d’affichage informe les résidents du bâtiment C qu’ils doivent quitter leur logement avant la fin du mois « pour cause de travaux » . En réalité, le bâtiment, qui accueille 548 chambres, ainsi qu’une école maternelle à son rez-de-chaussée, doit être muré en vue de sa prochaine destruction. Dans le même temps, de nombreux résidents reçoivent un courrier de « non-réadmission » de la part du Crous de Versailles, toujours gestionnaire des lieux. Pendant plusieurs mois, une grande vague d’expulsions déferle sur la cité U. Les effets personnels des « non-réadmis » sont évacués des chambres par des déménageurs et les serrures changées. Parfois même pendant l’absence des locataires.
Certains résidents commencent à se regrouper et créent quelques collectifs. Parmi ceux-là, Sauvons Jean-Zay. Une de leurs membres, qui souhaite rester anonyme de crainte de perdre son logement, se souvient : « En général, c’était M. Vinzio, le directeur de la résidence, qui venait et ouvrait les chambres. Dans le bâtiment C, des plaques de métal étaient placardées sur les portes pour empêcher l’accès. Au cours du seul mois de juin, quatre équipes de déménageurs ont tourné en permanence sur la cité U. » Une personne d’un autre collectif, Halte aux expulsions, raconte : « Lors de ces expulsions, j’ai vu des femmes enceintes se faire virer, des malades, des étudiants qui rentraient tranquillement de cours et qui ont découvert toutes leurs affaires personnelles abandonnées en bas des bâtiments. Rien n’a été respecté, pas même les règles légales. » Les étudiants contactent alors un avocat, Me Hosni Maati : « Dans le cadre d’une procédure d’expulsion dans les règles, un tribunal d’instance doit se prononcer. Ici, aucune mise en demeure ne semble avoir été lancée. Donc il y a illégalité, de mon point de vue, précise celui-ci. J’ai suivi le cas d’un résident. On a déposé un référé sur le champ. Mais, lors du “déménagement” de sa chambre, de nombreux papiers administratifs ont été perdus. Du coup, nous n’avons pas pu faire valoir ses droits, et l’affaire n’a pas connu de suite. » Pour Françoise Bir, directrice du Crous de Versailles, ces expulsions n’ont rien d’illégal : « Ce ne sont pas des expulsions, mais des exclusions !, insiste-t-elle fermement. L’étudiant est “titulaire” de sa chambre, pas locataire. On est dans le droit administratif ici, et non dans le droit privé. Il y a eu une procédure réglementaire suivie. Les gens ont été prévenus. »
Quoi qu’il en soit, les étudiants ne sont pas au bout de leurs peines. Le sort réservé au bâtiment C n’est qu’un début. Un protocole d’accord signé fin 2009 entre le département des Hauts-de-Seine, désormais présidé par Patrick Devedjian, la CAHB, dirigée par Georges Siffredi (UMP), et le Crous de Versailles prévoit, à l’échéance 2013, la démolition totale des bâtiments G et H (542 places), et la démolition partielle des bâtiments D et F (823 places). Les logements disponibles restants, dont les bâtiments A (311 chambres) et E (312 chambres), doivent, eux, être réhabilités. Mais la réhabilitation aussi pose problème. Au final, sur la capacité d’accueil initiale de 2 536 étudiants qu’offrait la cité U, il ne devrait rester plus que 1 200 chambres, selon le Crous de Versailles.
Contactée par Politis, la Communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre, nouvelle propriétaire de la résidence universitaire, justifie ces opérations : « La fermeture et la réhabilitation de certains bâtiments sont nécessaires, car ils sont vétustes et sans avenir, assure un interlocuteur haut placé de la CAHB. Cependant, nous avons pris un engagement en termes de reconstruction du logement étudiant. Pour un logement supprimé, 1,20 sera créé. Soit 20 % de logements en plus. » À ce jour, seuls 160 nouveaux logements ont été créés, à Boulogne-Billancourt. Et si la résidence universitaire d’Antony, inaugurée en 1956, souffre du temps, on peut y trouver une raison simple : aucun réaménagement n’a été effectué en près de soixante ans. Pour Pascale Le Néouannic, présidente du groupe Front de gauche & Alternatifs au conseil régional, membre de l’Association des amis de la RUA, pas besoin de chercher loin pour trouver les fautifs. « Le Crous a clairement préparé le terrain à la CAHB et a facilité son travail, accuse-t-elle. Il a créé les conditions de pénurie, en laissant pourrir la cité U. Il n’a pas du tout défendu les étudiants, en organisant en plus des expulsions manu militari. »
En réalité, la démolition de la résidence a commencé bien avant 2009. Dans ce dossier, un nom revient inlassablement. « Devedjian, ça fait vingt-cinq ans maintenant qu’il veut détruire la cité U !, lance Pascale Le Néouannic. En 1983, quand il est élu maire d’Antony, il déclare : “Je veux faire d’Antony un petit Neuilly”, et ajoute que la cité U “ est un handicap pour la ville”. » Dès 1986, le bâtiment B (450 chambres) est détruit. À la place de celui-ci s’élèvent une sous-préfecture et un commissariat, toujours en service aujourd’hui, ainsi qu’un « centre d’affaires » dont les bureaux sont pour la plupart encore inoccupés.
Pas de quoi rassurer les résidents actuels, à l’heure où le logement social étudiant est déjà en crise. Quant à l’avenir de la résidence Jean-Zay à Antony, les rumeurs vont bon train : certains parlent d’un « écoquartier », d’autres d’ « une grande coulée verte » , ou encore de « la livraison des terrains à la promotion privée » . À la CAHB, on certifie sur un ton sarcastique qu’ « aucune décision n’est encore prise sur l’avenir de la RUA. D’ailleurs, pour l’instant, il n’y a même pas de projet dans les cartons » . En attendant, les cartons, ce sont les résidents qui doivent les préparer. Si l’avenir de la cité U d’Antony reste en suspens, ses terrains sont devenus un véritable champ de bataille politique. Et, comme le montre l’exemple du campus de Nanterre, ce sont les étudiants les plus précaires qui en payent le prix.